La cloche venait de sonner la fin du cours. Min Ah se leva, rangea ses affaires et quitta la salle. Serrant les poings, elle traversa les couloirs de l’université. Elle était en colère. Encore une fois, elle s’était disputée avec son professeur. Mais cette fois, elle avait failli en venir aux mains. Bien entendu, elle s’était retenue ne voulant pas décevoir son grand-père à qui elle avait fait la promesse de ne plus jamais lever la main sur un prof. Mais la colère est un sentiment qui est difficile à retenir. En ce moment, il ne fallait pas qu’on vienne l’embêter, sinon elle partirait au quart de tour. Elle se rendit dans son petit appartement qui se trouvait dans le bâtiment C de l’université. Elle y entra en claquant la porte. Si cela ne dérangeait pas ses camarades voisins ? Personnellement, elle s’en foutait complètement. La jeune fille marchait de long en large au milieu du salon, toujours son sac sur l’épaule. Il fallait qu’elle trouve un moyen de décompresser, parce qu’elle ressemblait à une boule nerveuse à bouger comme ça dans tous les sens.

Souvent lorsqu’elle était dans cet état-là, elle cognait dans son sac de boxe, mais ce soir elle n’en avait pas envie. Il fallait qu’elle trouve autre chose, qu’elle se dépense autrement qu’en tapant, afin d’oublier cette boule qu’elle avait dans la gorge. C’est alors qu’elle pensa à la course. C’était plutôt un bon moyen de décompresser et de ressortir toute cette colère qu’elle avait en elle. Elle se changea et sortit donc en direction du parc, prenant soin d’emporter avec elle son téléphone portable ainsi qu’une bouteille d’eau. Il faisait frais dehors, mais la demoiselle bouillonnait intérieurement. Ce qui était bien dans ce parc, c’est qu’il était grand, donc elle avait tout l’espace qu’elle voulait pour courir. De plus, elle avait peu de chance de croiser beaucoup d’élèves. C’est ainsi qu’elle entama sa course. Le vent qui soufflait à contre-sens, lui faisait énormément de bien. Déjà elle sentait sa température intérieure diminuer petit à petit.

Cette course dura une bonne heure, avant qu’elle ne vienne se poser exténuée sur un banc. Elle reprenait doucement sa respiration. Soudain, une autre personne vint s’installer sur le banc. Elle lui lança un regard qui exprimait sa haine, tout en souriant d’un sourire qui n’annonçait rien de bon. « Dégage ! » fut le seul mot qu’elle sortit de sa bouche.

La chose la plus ridicule au monde !

« Et... c'est quoi ça ? »
« Un oeil ! C'est un oeil »
« Hmm... Tu as raison, peut-être que si je la tourne dans ce sens... »

Soo Mee se contorsionna tout en tournant la photo d'un sens et dans l'autre. Elle devait en faire en faire une de ces grimaces, car ses amies autour partirent d'un fou rire, sauf celle, très sérieuse, qui se trouvait à côté d'elle. Mais il n'y avait rien à faire ! Quel que fut l'angle sous lequel elle la prenait, cette chose informe qui apparaissait sur la photo n'avait absolument rien d'un oeil.

« Aish... Tu es vraiment sûre que c'est un oeil ? »
« Mais oui, puisque je te le dis ! »

Aigoo... Qu'allait-elle faire avec une photo pareille ?
Elle la reposa très lentement sur la table en face d'elle, presque comme s'il s'agissait d'un objet dangereux ou d'un bestiole qui risquait de lui sauter au visage.

« Il va falloir prendre de nouvelles photos de toute façon. Nous n'en avons pas suffisamment pour pouvoir terminer la composition. » déclara-t-elle enfin, diplomate.

« Mais le projet est pour lundi, non ? »
« Oui, lundi. Ce qui nous laisse tout un week-end pour le terminer ! » lança-t-elle, positive.

Elle refusait de se laisser décourager même si la tâche semblait difficile, surtout étant donné qu'elle avait d'autres projets et devoirs à rendre pour le début de la semaine et que tous n'étaient pas terminés ou même entamés.

Cette journée avait été une véritable course, une fois de plus. Entre ses cours de droit et les différents clubs auxquels elle avait adhéré, sans parler de son "travail" en tant qu'Ulzzang, il ne lui restait plus beaucoup de temps libre pour s'occuper de ses petites affaires personnelles ou pour faire avancer son projet de clan. Peut-être devrait-elle renoncer au club de poterie et à son travail de reporter pour le journal du campus... Après tout, elle ne comptait pas gagner sa vie en faisant quelques pots en argile ou en prenant des banalités dans le journal du coin. Non, elle avait des aspirations tout autre. Il fallait sans doute qu'elle se recadre sur ses objectifs.

C'est donc après avoir pris congé de ses amies qu'elle se retrouva à errer seule dans le parc du campus. Les occasions de se retrouver seule étaient rares, et donc fort appréciables. Car bien sûr, il y avait un côté moins agréable à une forte popularité, surtout lorsque celle-ci passait par le biais d'internet... Car si la majorité de ses fans étaient étaient gentils et adorables, lui envoyant des petits mots d'encouragements qui lui réchauffaient le coeur, d'autres étaient franchement collants. Elle avait donc pris l'habitude de sortir, comme maintenant, avec une paire de lunettes de soleil sur les yeux et un chapeau. En l’occurrence, avec un temps ensoleillé comme celui de cet après-midi d'automne, cela convenait tout à fait.

Un livre devant les yeux, le chapeau de paille enfoncé sur sa tête, ses deux couettes basses battant la mesure de ses pas et une sucette à la fraise logée dans la bouche, Soo Mee prit la première allée et s'enfonça davantage dans le parc, absorbée par l'histoire du droit pénal coréen.

A un moment, elle souhaita s'asseoir tranquillement et repéra un banc du coin de l'oeil. Bien sûr, trop absorbé par son bouquin, elle ne vit pas la personne qui était assise sur la place d'à côté. Aussi est-ce la raison pour laquelle elle ne fit pas la demande polie de savoir si cela la déranger qu'elle s’assoit à côté. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle ne s'attendit vraiment pas à ce qui arrive à l'instant où elle posa ses fesses sur le siège en bois.

« Dégage ! » s'écria une voix sèche et froide.

Le coeur de Soo Mee manqua un battement, elle faillit s'étouffer avec sa sucette et tomber à la renverse. Elle avait été tellement surprise qu'elle ne prit pas tout de suite conscience de l'occupant et commença à tourner la tête de droite et de gauche à la recherche de son interlocuteur.

Lorsqu'elle remarqua la jeune fille, et après un examen rapide, elle en conclut que cela devait être elle qui s'était adressée de cette manière.

Elle se releva lentement, tout en continuant à fixer la fille qui lui jetait un regard noir. Puis elle fit glisser les lunettes sur le bout de son nez avant de les mettre en serre-tête sur sa tête, révélant son adorable visage souriant.

« Ah, joesonghabnida. J'aurais du vous le demandez avant mais je ne vous avais pas vu » expliqua très poliment et calmement la jeune Ulzzang. « Est-ce que vous m'autorisez à partager avec vous ce coin de banc ? » demanda-t-elle en langage formel.