Il régnait un doux silence dans la pièce plongée volontairement dans l'obscurité, une atmosphère feutrée et chaude apaisait mon esprit. J'étais assis et tournais le dos aux vitres vaguement dissimulées derrière un voilage. Les nouvelles de la journée défilaient devant mes yeux mais je pense que n'importe qui aurait facilement deviné que cela ne m' intéressait pas le moins du monde. Mon habituel regard blasé et fatigué regardait, impuissant, la présentatrice passer des intempéries dans notre pays, au dernier enlèvement d'une petite fille de 5 ans, sans départir de son grand sourire d'actrice. Machinalement je soupirai lourdement. Désormais, on parlait des pires catastrophes avec un sourire éclatant et sur un ton guilleret, comme si l'on annonçait la victoire d'une quelconque équipe sportive. Qu'il en soit ainsi. Sans réfléchir j'appuyais sur la touche veille de la télécommande et basculais la tête en arrière, volant quelques secondes supplémentaires de somnolence. Encore une poignée de minutes et enfin ma journée allait démarrer. Depuis peu je partageais mon quotidien avec une nouvelle personne. Enfin, pas si nouvelle que ça, Jade était à la base ma colocataire. Aujourd'hui, ma petite amie. Peu importe comment nous en sommes arrivés là, je dois me comporter comme si j'avais des sentiments pour elle, comme si je l'appréciait vraiment, parce que c'est ce que je suis censé faire. Alors lui donner rendez-vous devrait faire de moi un petit ami normal. J'espère. Quitte à attendre, autant partir un peu à l'avance. Le café n'était qu'à deux pas certes, mais le temps passera plus vite si je m'occupe un peu. C'est donc les poings enfoncés dans les poches que je quittais l'appartement, laissant Billie faire je ne sais quoi, livrée à elle-même.

L'automne était une saison bien étrange… au climat d'un grand potentiel. Tout était possible en une journée, le déluge comme une chaleur écrasante jusqu'à ce que l'on se rapproche de l'hiver. Pour l'heure, je ne pouvais être qu'impressionné par les quantités phénoménales d'eau qui étaient tombées ces derniers jours. Il semblerait qu'aujourd'hui les nuages se soient décidés à laisser leur place au soleil. Une voiture passa à toute allure sur une large et profonde flaque, projetant autour d'elle de grandes gerbes d'eau. Je soupirai une nouvelle fois lourdement, alors que j'étais tout juste parvenu à éviter les éclaboussures. Je serais incapable de décrire précisément le bruit qui suivit le passage furtif de cette voiture, mais je ne pouvais décemment pas faire la sourde oreille face à ce qui venait de se passer à quelques mètres de moi. Pourtant ce n'était pas l'envie qui manquait. Plusieurs personnes se précipitaient derrière moi, d'autres hurlaient, quelques unes ordonnaient d'appeler une ambulance. Je me retournais donc, pour voir au loin la silhouette d'une jeune adulte que je ne connaissais que trop bien. Les sourcils froncés, mes jambes me guidaient vers la scène de l'accident. Jade était allongée par terre, baignée dans son propre sang. Cette scène me semblait malheureusement trop familière pour que je ne me sente pas touché par le paysage qui s'offrait à moi. De nulle part, plusieurs médecins débarquèrent, dont un qui me bouscula brutalement. Finalement les secours avaient fait vite.

Quelqu'un la connait ?! La communication : c'est la première chose qu'on apprend dans la vie. Ce qui est amusant, c'est que plus on grandit, et plus on connaît de mots, moins on trouve quoi dire, ou comment demander ce dont on a vraiment besoin. Personne ne la connait ?! Si moi, moi je la connais, Jade est ma colocataire, mon amie, ma petite amie, j'étais censé la voir là, au café juste au coin de la rue, cette fille est avec moi, alors elle n'ira nulle part sans moi.  « Moi. » C'était tout ce que j'étais capable de dire, tout ce que ma bouche pouvait prononcer. Calme, je m'avançais vers le médecin qui hurlait il y a quelques secondes de cela, et détournai une nouvelle fois le regard vers Jade.  « Je la connais. »

3 semaines plus tard.

 « Fais gaffe, ça glisse un peu, on a fait le ménage exprès pour fêter ton retour chez nous !» Simuler mes émotions est devenue la chose la plus facile à faire pour moi, mais gérer une petite amie amnésique, pour être honnête j'aurais bien aimé qu'on nous la confie avec un manuel spécial. Mais si elle a été jugé apte à quitter l'hôpital, c'est que ça ne devrait pas être aussi difficile que je me l'imagine.