Leevy entreprit doucement d'ouvrir ses paupières. Urgh. C'est lourd, tout ça. Mais il fallait qu'elle y arrive, qu'elle reprenne le contrôle de ce petit corps tellement fatigué qu'était le sien. Remarque, pour une fois qu'il est fatigué...
Il n'était que 8h du matin, rien d'exceptionnel pour la population lambda qui se levait beaucoup plus tôt pour travailler. Mais pour Leevy, qui faisait son tour de cadran et ne se couchait pas avant 2h du mat' bien sonnées, c'était un supplice ô combien horrible, de plus si c'était pour aller envoyer un couteau dans un mannequin au centre d'entraînement.
Bref, qui dit 8h du matin et Leevy, dit mode radar: ON. La jeune fille se leva donc, toujours traumatisée par son rêve. C'avait été terrible, pourtant elle avait dormi comme un bébé, cherchez l'erreur. Dans son rêve, elle avait croisé la vieille femme qui lui servait de mentor durant les Jeux et elle aurait juré que...et bien, elle aurait juré que ses prunelles étaient aussi rouges que celui des feux de signalisation sur Park Avenue. Ce qui, naturellement, relevait de l'impossible, convenons-en. Mais pour une fille comme Leevy, qui dormait avec une peluche lapin hideuse répondant au doux nom de Butch, rien n'était impossible.
En descendant du Septième étage pour aller jusqu'à la salle à manger commune, elle fit donc tout pour éviter le croûton lui servant de mentor, préférant passer dans les couloirs sombres et se coller à eux comme dans un mauvais James Bond. Arrivée à la petite salle, où bon nombre de tributs étaient déjà assis, elle alla se servir avec enthousiasme au buffet à volonté, prenant un petit croissant, ce qui était déjà beaucoup pour son estomac gros comme une souris anorexique, et un peu d'eau chaude, dans laquelle elle plongeait un sachet de son cru personnel, style "Bourgeons de Thé Vert aux Fleurs de Jasmin du Jardin de Jade" ou "Premières Feuilles de Lapsang Souchong Récoltées à la Main par de Jeunes Vierges". Puis elle s'installa à une des rares tables libres pour être tranquille, espérant qu'un de ces gorilles de Carrière ne vienne pas la déranger. Mais ô, désespoir ! Ce fût le type de son district, Caleb, celui qui semblait avoir l'esprit à peu près aussi profond qu'un dé à coudre, qui s'installa à la petite table, un objet très semblable à ce que le Capitole appelait "portable" dans les mains. Il la dévisagea un moment, et lança :

« Tu t’y connais, toi, en portable ? J’arrive pas à l’éteindre… »

Ouais. Ok. Tout à fait. Leevy lui opposa le silence de quelqu’un qui vient de trouver un rat dans son bol de soupe. En effet, ses aptitudes mécaniques avoisinant celles d’un concombre de mer, elle jugea plus utile de lui prendre l’objet des mains et de le taper contre la table pour qu’il s’éteigne. Ce qui déclencha une drôle de réaction chez le jeune homme. Caleb a secoué la tête au ralenti et l’a regardé avec un sourire consterné :

« Tu sais quoi, Leevy ? Tu me fais penser à une sorte de savant fou, sans le côté savant. Tiens, à ce propos, la mentor m’a dit que tu étais encore dans ta chambre. J’ai passé trois heures à te chercher. »

« C’est peut-être le manque de sommeil, mais j’ai quand même nettement l’impression d’être ici et pas là-bas » rétorqua-t-elle en le toisant froidement. Elle ne désirait nullement sa compagnie. « Tu me veux quoi ? »

Le mammouth blond prit visiblement le temps pour réfléchir, ce qui devait lui coûter un effort surhumain vu ses capacités d’analyse hautement élevées, avant de répondre :

« On avait parlé d’alliance pour les Jeux. Tu marche toujours ? »

Sans blague, si elle marchait toujours ? Certes, Caleb était un peu en retard sur le plan intellectuel, mais il avait une carrure plutôt impressionnante.

« Bien sûr, que je marche toujours. »

« Tu me le jure ? »

« Pas d’une façon strictement contractuelle », nuança Leevy.

Ben quoi ?