Georg Baselitz a dit " L'artiste n'a de responsabilité envers personne. Son rôle social est asocial. Sa seule responsabilité réside dans sa position face au travail qu'il accomplit " ...

Vert, bleu, vert, un touche de blanc, un soupçon de noir profond …
Combien de fois lui faudra-t-il recouvrir ce mur de ses traits, de ses images nées et extraites de son esprit que tant se plaisent à qualifier de dérangé ? Le port digne de la noblesse, les gestes aussi fluides qu'ils demeurent précis et la couleur s'étale inlassablement, dissimule le blanc cassé de sa cellule ; encore et encore. A ses lèvres flotte ce sourire trop léger ; est-il faux ? Mirage d'une émotion, chimère d'une expression à moins qu'il ne soit juste d'humeur plus accueillante qu'à l'ordinaire. Qui le saurait ? Ishikawa Kagami est un mystère, abysse sans fond …

Il fait gris à ce jour et ce temps l'envoi à travers bien des souvenirs, cette ile de son enfance, le temps où il n'avait de comptes à rendre … Ah des comptes à rendre.
Qu'il est ironique de penser que ces hommes les surveillants ont un jour eut les mêmes pensées, les mêmes envies qu'eux de voir une tiers personne s'éteindre, disparaître pour x raison. Seule différence ? Oh eux sont trop lâches pour oser, pour saisir l'arme qui les débarrassera d'un ennemi, d'un parasite … pauvres choses qu'ils sont, le bras retenu par la peur de voir s'abattre sur eux cette justice mal fagotée. Mais le monde est ainsi fait dira-t-on ~

Un instant il recule, replace une mèche venue lui balayer la joue derrière son oreille. Puis il tourne légèrement la tête, ayant senti l'insistance toute particulière d'un regard ; non une menace … disons plutôt … de la curiosité. Il n'est pas surpris de découvrir une femme, délicate créature aux jambes interminables, la taille si bien sculptée, le visage d'un si gracieux ovale ; ces yeux … Sait-elle comme ils la trahissent ? Comme il est aisé de lire en elle ? A l'instant elle est à l'image d'une enfant tirée de sa contemplation, ces petits qu'on arrache de la devanture d'un magasin où ils seraient restés sans se soucier du temps, le nez et les mains collés à la vitre … innocente jouvencelle.
Son signe de la main lui indique son trouble, au moins autant que ce rapide demi-tour et sans doute s'est elle empressé de se cacher car faite femme, la curiosité l'empêchera forcement de s'éloigner, de passer outre cette cellule face à laquelle elle est restée assez longtemps pour attirer l'attention du sociopathe. Et son pinceau se suspens, un rictus amusé remplaçant sa bonne humeur trop évasive.
Ici tout est si morne, pourquoi se priver de prendre le contre-pied ? Saisir la balle au bond et profiter d'une occasion lorsqu'elle se présente ? Il est tel le loup à qui l'on aurait offert l'agneau sur un plateau d'argent … Mais du loup, Kagami ne possède sans doute rien … Il n'est qu'un leurre ; l'angélique visage d'un bras armé et dénué de scrupules …

Et lorsque la voix s'élève, sa douceur et le ton agréable qu'il emploie ne sont qu'un piège de plus ; chant mortel de ces sirènes vous attirant inévitablement vers les rochers sans aucun espoir de retour.

« Comptez vous rester hors de ma vue ma chère ? »

Aucun regard vers l'entrée, l'attention figée sur son oeuvre.

« Avouez qu'il serait préférable d'avancer s'il vous plait d'observer. Puis quitte à passer le temps, autant le faire en plaisante discussion qu'en non-dits et regards à la dérobée. »

Il attend, patient. Et la soie du pinceau retrouve à nouveau la cloison ; parce qu'il sait bien qu'elle ne résistera pas, qu'elle le rejoindra. A n'en pas douter elle reviendra sur ses trois pas et osera franchir la grille de métal … parce qu'il en est ainsi, prévisible … Parce que l'ennui est un poison et qu'il l'a amené ici ; parce qu'elle n'est pas différente des autres. On cherche tous à s'occuper … Il comprend, il sait bien … Après tout, Kagami trompait l'ennui aussi autrefois.
Mais lui … il prenait une vie.