L’orbe rouge du soleil tomba tout à fait, et les rayons de feu courant sur les toits passèrent successivement au jaune pâle, à l’améthyste, puis au gris perle. Enfin, il ne resta plus, pour rappeler cet embrasement que les façades des hautes tours de verre qui continuaient à briller doucement comme des briques d’or mat. Puis cela, à son tour, disparut. Et ce fut la nuit, une nuit noire et subite.

Comme une vague sombre, l'obscurité semblait avoir avalée la ville. Pourtant, soixante ans auparavant, cette ville aurait sans doute scintillé de lumières. Il aurait été possible d'y voir dans les rues comme en plein jour. Aujourd'hui, avec les nouvelles mesures drastiques de diminution des dépenses d'énergie, les éclairages publics étaient moins nombreux qu'au début du siècle. A cette heure, même les quelques lampadaires habituellement allumés en début de soirée étaient éteints.

Megalopolis – ou du moins la ville basse – était devenue une cité d'ombres, un royaume où fleurissait le crime et l'économie souterraine prospérait comme nulle part ailleurs.

Ombre parmi les ombres, une fine silhouette se déplaçait souplement avec une grâce presque féline sur les toits de la ville basse. Entièrement vêtue de noir, elle courrait avec une vitesse et une agilité surprenante. Elle ne faisait presque aucun bruit, malgré ses bottes. Seul le léger tintement des mousquetons qui pendaient à sa ceinture parvenait à briser le silence de temps en temps.

En plus de son habituel sac à dos noir, elle transportait également un sac plus grand, en toile, dans lesquelles se trouvaient ses livraisons. Celles-ci pesaient lourdement dans son dos, mais elle semblait à peine s'en soucier. L'habitude sans doute. Et son entraînement physique quotidien qui repoussait les limites de sa résistance.

C'était à peine si quelques gouttes de sueur perlaient en haut de son front, seul endroit de peau visible - et encore à peine - lorsque le reste de son visage était entièrement recouvert d'une capuche, d'un masque et d'un foulard sombre.

L'ombre masquée courait de plus en plus vite, afin d’être la plus discrète possible, depuis plusieurs minutes déjà. Et depuis plusieurs minutes une ombre la suivait, sans qu’elle ne la sente. Il fallait dire que la jeune femme pensait à autre chose en courant. Tout son être, corps comme esprit, tendait à la discrétion la plus totale. Elle ne pouvait pas se permettre d’être vue, de faire une erreur ; sa mission en dépendait. Et trop de personnes dépendaient de sa mission. Aussi avait-elle relâché légèrement sa vigilance sur les sons qui l'entouraient et n'avait-elle pas remarqué que quelqu'un l'avait déjà prise en filature.

Elle déposa un mystérieux paquet sur le palier d'une des maisons et donna quatre coups à la porte avant de se dissimuler dans l'obscurité. Une petite tête passa par l’entrebâillement. Ses sacs étaient pratiquement vides - plus qu'un ou deux dépôts de prévus - lorsqu'un énorme craquement retentit au-dessus d'elle. BRRROOOOM !!! Un éclair traversa le ciel pour illuminer une silhouette à la carrure imposante en face d'elle.