La cloche sonna la fin des cours. Natsumi rangea ses affaires et se pressa pour sortir de la classe. Fixant sa montre, elle grimaça en constatant qu’elle serait certainement en retard pour aller chercher les enfants à la crèche. Elle se sentait bien malchanceuse d’avoir à s’occuper d’eux aujourd’hui, mais à partir du moment qu’elle avait accepté ce concept de tournus, elle n’avait plus le droit de refuser ni de râler. Après une bonne demi-heure, elle arriva enfin à l’école où elle récupéra les quatre bambins et le bébé criard. Les enfants étaient terriblement agités, surtout Min Ah et Haroro, qui courraient dans tous les sens autour de Natsumi, qui peinait à essayer de calmer le bébé. Les passants la regardaient certes bizarrement, mais la Japonaise n’y prêtait même plus attention. Après une gymnastique incroyables et beaucoup d’efforts, elle réussit à tous les amener au parc pour qu’ils jouent un moment et qu’ils se dépensent tous, histoire qu’ils soient plus calmes après. Une heure durant, Natsumi les regarda jouer au loup et s’occupa de la benjamine du groupe, qui enfin s’était calmée. Finalement, elle les amena tous dans sa chambre universitaire, attendant patiemment que les pères viennent chercher leur progéniture.

Il était près de dix-neuf heure lorsque le dernier père quitta la chambre de Natsumi. Elle se retrouvait donc entourée de Min Ah et Haroro. Le matin même, elle avait été invitée à aller manger au restaurant où travaillait le père de Haroro et c’était pour cette raison que Keisuke n’était pas venu chercher son fils. « Restez sur le lit, je vais aller me doucher et me changer. Je reviens dans moins de dix minutes et vous avez intérêt à ne pas avoir bougé, espèces de petits monstres. » Elle s’absenta ainsi le temps convenu et revint, fraîche, dispose et surtout maquillée. Lorsqu’elle vit Natsumi entrer dans la pièce, Min Ah fit les gros yeux. « Natsumi-san ! Vous êtes belle ! » Jusqu’à présent, Natsumi ne voyait pas vraiment l’intérêt de se maquiller et se contentait de mettre un peu de fond de teint. Cette fois pourtant, elle avait sorti le grand jeu, tout en restant dans le discret. Elle portait un… . Elle ne répondit pas à la remarque de la petite et frappa quelques fois ses mains. « Bon bon les petiots, il est l’heure. Ton père doit sûrement nous attendre Haroro-kun. » Elle leur tendit ensuite une main à chacun, que chacun des petits attrapa rapidement. Ils se mirent alors en route pour le restaurant.

Ils arrivèrent finalement à destination. Haroro et Min Ah lâchèrent subitement la main de Natsumi et se précipitèrent à l’intérieur du restaurant. C’était un petit endroit atypique, mais très chaleureux. Pourtant, la Japonaise était partagée quand elle y pensait. Il n’avait rien d’un de ces restaurants quatre étoiles où elle rêvait de manger ; mais à chaque fois qu’elle pénétrait à l’intérieur, elle se sentait de retour à la maison et c’était un sentiment incroyable. A son tour, Natsumi entra, après avoir rapidement arrangé sa tenue (here moins le foulard et les guètres).. Elle eut un pincement lorsqu’elle vit Keisuke derrière le comptoir, parlant tendrement avec les deux enfants. La vision était idyllique et familiale. Mais pas pour Natsumi. … N’est-ce pas ?

Le soir s’était installé à une vitesse excessive, Keisuke avait à peine eut le temps de quitter son fils à la crèche, qu’il se retrouvait déjà derrière le comptoir du restaurant de son cousin. Il s’était rendu au quelques cours prévu ce matin-là, sans pour autant réussir à se concentrer ; trop préoccupé par le menu de ce soir. L’idée de recevoir Natsumi ne l’avait pas quitté de la journée, il était si heureux bien qu’il n’était pas totalement sûr qu’elle ait accepté l’invitation… A cette pensée, il ressentait un fort pincement de cœur, et une bouffée de désespoir le parcourait. Très vite, sa bonne humeur le rattrapait et lui rappelait qu’il y fallait se mettre sérieusement à l’élaboration du menu ! La journée finit par suivre son court normal, et Kei’ s’était retrouvé propulsé en cuisine ! Une cuisine qui n’avait pas de quoi faire rougir les restaurants environnant, elle est petite, rudimentaire mais suffisante pour l’endroit ; un petit taudis coincé entre deux autres lieux de restauration.

Keisuke s’affairait à curer les recoins encore crasseux des outils de cuisine. Sa tenue n’était pas tellement approprié pour un rendez-vous, il gardait son tablier autour de la taille. Son cousin lui avait gentiment demandé d’aider avant la fermeture, et voilà ce à quoi il devait ressembler. La table était déjà dressée, et un écriteau « réservée » trônait au milieu de celle-ci. Il ne restait plus qu’à se mettre au fourneau ! Les ingrédients étaient étalés sur une planche, Kei’ s’empara d’une pomme de terre qu’il éplucha soigneusement ; le reste suivit. Il était seul, et l’aiguille du cadran affichait une heure tardive, l’heure à laquelle Natsumi allait se présenter. Des cris d’enfants résonnèrent jusque ses oreilles, une dizaines de secondes plus tard la porte d’entrée s’ouvrit bruyamment ! « PAPAAAAA! » Haroro se précipita dans les bras de son père, qui l’accueillit avec amour et le porta pour l’embrasser tendrement. De nouveau à terre, le garçon rejoint la petite Min Ah. Les trois souriaient, et débutèrent une discussion des plus enjouée ! « Keisuke-san, Natsumi est vraiment très belle ! Elle ressemble à une princesse ! » Haroro renchérit de plus belle « Oh oui ! C’est la plus jolies des princesse, n’Est-ce pas Min ah ? » La petite hocha la tête, « Neeeeeee ~ ». Soudain gêné d’apprendre les efforts qu’avait mis l’étudiante dans sa tenue, il se sentait misérable avec un accoutrement pareil. Son regard croisa enfin celui de Natsumi ; sa première réaction fût de la saluer d’un hochement de tête. « Je suis désolé… je n’ai pas eu le temps de me changer… » Kei’ baissa la tête afin de jeter un coup d’œil à ses vêtements, et autant dire qu’il n’était pas présentable. « C’est pas grave papa, le prince est bien tombée amoureux de Cendrillon ! » Le père ne savait pas trop comment recevoir cette comparaison, « Yah, Haroro ! » Il tourna de nouveau la tête en direction de Natsumi, se grattant la tête nerveusement, un sourire des plus désolés peint sur le visage tout en l'invitant à pénétrer dans le restaurant.

Le cœur battant, Natsumi passa le pas de la porte du restaurant. Keisuke, derrière son comptoir, dégageait une aura étrange, mêlant à fois la victoire et le bonheur. Malgré sa tenue un peu relâchée, il était très séduisant. Jamais la Japonaise ne l’avait vu d’une telle manière ; jusqu’à présent, elle l’avait presque autant méprisé que les autres célibataires. Mais ce soir-là, entouré des deux enfants, elle n’avait plus qu’une seule envie : les rejoindre dans ce cadre familial parfait. Elle en oubliait ses ambitions et ses rêves, ses envies de devenir une jeune femme riche et pleine de pouvoir. A ce moment-là, seuls comptaient Keisuke et les enfants. Natsumi réalisa bientôt qu’elle était restée plantée au beau milieu du chemin et qu’elle avait des pensées qui ne lui ressemblaient absolument pas. Elle secoua alors frénétiquement sa tête pour se remettre les idées en place, puis regarda à nouveau le groupe de trois. Le charme s’était un peu rompu, mais pas totalement. Keisuke la remarqua alors et s’excusa tout en se courbant pour la saluer : « Je suis désolé… je n’ai pas eu le temps de me changer… » Natsumi s’apprêtait à lui répondre qu’elle n’en avait que faire, qu’après tout il travaillait comme simple cuisinier, lorsque Haroro, plus rapide, lui coupa l’herbe sous le pied : « C’est pas grave papa, le prince est bien tombée amoureux de Cendrillon ! » Très vite, Keisuke tenta de faire taire l’enfant pour qu’il n’en dise pas d’avantage et adressa un sourire demandant pardon à Natsumi. La jeune Japonaise se contenta d’hocher la tête à son tour et pénétra davantage dans le restaurant. L’ambiance était bien chaleureuse, mais malheureusement, il n’y avait aucun luxe. Si Keisuke était le fils d’une grande famille, alors Natsumi l’aurait tout de suite considéré sérieusement. Mais avec son air ahuri et ses vêtements simples, ça ne pouvait pas être le cas. Elle finirait malheureuse à coup sûr.

S’approchant d’une table joliment décorée, avec un « réservée » déposé au milieu, Natsumi regarda Keisuke. « Est-ce notre table ? » Elle comprit sur son hochement habituel de tête qu’elle avait raison. Elle déposa alors son sac sur le sol et s’installa devant un des couverts. Bientôt, Haroro et Min Ah vinrent s’asseoir à ses côtés. « Dis Natsumi, tu t’es faite belle pour papa, hein ? » Devant cette question à l’apparence si innocente, la Japonaise ne sut pas quoi répondre. A l’évidence, le petit Haroro avait mis le doigt sur l’éclatante vérité. Pourtant, Natsumi ne se sentait pas prête à avouer que c’était le cas. D’ailleurs, elle regrettait de ne pas être venue habillée comme à son habitude. Tant de pensées contradictoires s’entrechoquaient dans sa tête et elle demeurait quelques instants muette. Les enfants avaient les yeux rivés sur elle et elle n’osait pas regarder si Keisuke la fixait également. « Je ne me suis pas faite spécialement belle… J’avais juste envie de mettre ma nouvelle robe et de tester mon nouveau maquillage. » Voilà qui résolvait la question, non ?

La soirée s’annonçait mouvementée, les adultes étaient mis hors de causes, Keisuke désirait installer une ambiance conviviale et chaleureuse, pour les enfants voulaient autre chose de plus dynamique ! Le jeune père n’en avait aucune conscience, mais il s’en rendrait rapidement compte ! Pour l’instant, il était en retard : rien n’était prêt, Natsumi pouvait aisément le constater. Le japonais se demandait si l’inviter avait été une bonne idée finalement, elle était si bien vêtue et lui ressemblait à un artisan sans le sou. Les battements de son cœur s’accélérèrent, apeuré à l’idée que la soirée se transforme en véritable désastre. Il laissa l’étudiante en droit redécouvrir les lieux, et prendre place à la table « réservée ». Il n’y a pas de quoi comparer le décor à celui d’un grand restaurant, bien au contraire, cela manquait cruellement de glamour et rejoignait le rang du rustique pur et dur. Soudain silencieux, Keisuke laissait les deux enfants s’occupaient de l’ambiance, lui concentrait sur esprit sur les prochaines manœuvres culinaire, ce ne serait pas compliqué, il cuisinerait japonais afin de remémorer les saveurs traditionnelles à Natsumi. La cuisson des aliments étaient en route, il faudra simplement patienter un peu avant de pouvoir en faire profiter les papilles ! « J’ai dû m’occuper du dernier service, alors je suis un peu à la bourre. » Plongé dans son monde, il expliqua la raison de son retard, ses yeux ne quittèrent pas son plan de travail, et son expression exprimait parfaitement son état de concentration.

De nouveau Haroro se manifesta « Dis Natsumi, tu t’es faite belle pour papa, hein ? » Machinalement, Keisuke pivota d’un cran son regard pour venir fixer les trois âmes autour de la table. Il était vrai qu’elle était belle, il n’avait pas eu le temps de bien l’observer mais cette robe la mettait en valeur et faisait ressortir sa beauté naturelle ! « Je ne me suis pas faite spécialement belle… J’avais juste envie de mettre ma nouvelle robe et de tester mon nouveau maquillage. » Il n’y avait là, rien à ajouter, les choses étaient mises au clair et Keisuke n’en doutait pas, malheureusement. « Oh, tu veux tester ta tenue sur papa alors ? » Une réflexion précoce pour un gamin de quatre ans, et cela étonnait grandement Kei’. « Oy, Harorooo ! Viens m’aider au lieu de parler…» Le jeune père ne savait plus où se mettre, il avait l‘air d‘un gamin contrarié, son expression mimait celle d‘un enfant mécontent. Haroro obéit, et surmonté grâce à une boite, piquait la viande. « Tu la trouves belle, toi aussi, papa ? » Question qu’il aurait préféré éviter, il n’avait pas vraiment d’issues possible. « Oui, la robe lui sied à merveille ! Natsumi-san devrait s‘habiller ainsi plus souvent… » Ce n’était que son avis après tout, mais son cœur s’emballe, des goûtes de sueurs perlèrent le long de ses tempes et ses doigts tremblaient légèrement sous la pression…

Natsumi pensait avoir mis les points sur les i quant à la réflexion du petit Haroro sur sa tenue. Elle avait effectivement acheté cette robe très récemment et n’avait jamais eu l’occasion de la mettre ; cependant, lorsqu’elle l’avait vue pour la première fois, elle l’avait réservée dans son esprit pour une soirée bien plus glamour qu’un repas dans un petit restaurant qui avait bien –peut-être même trop ? – vécu. Alors pourquoi avait-elle décidé de la porter ce soir ? Natsumi elle-même l’ignorait. Ou peut-être le savait-elle, mais dans tous les cas, son inconscient était résolu à ne pas la laisser découvrir la vérité. « Oh, tu veux tester ta tenue sur papa alors ? » avait finalement ajouté Haroro. La Japonaise soupira, ne sachant finalement plus quoi répondre. Elle qui était toujours pleine de réparties, sèches comme parfois sympathiques, était complètement menée à la baguette par un petit de quatre ans. « Oy, Harorooo ! Viens m’aider au lieu de parler… » Tel Superman, un peu moins fringuant, Keisuke vint finalement au secours de la pauvre Natsumi. Elle peut alors reprendre contenance, après quelques instants à fixer le vide silencieusement. Seule Min Ah semblait l’avoir remarqué et regardait sa baby-sitter d’un air plus que malicieux, le sourire en coin.

Le petit groupe, séparé en deux, semblait reprendre doucement leur souffle. Mais très vite, Haroro, tel un petit démon, en remit une couche : « Tu la trouves belle, toi aussi, papa ? » Natsumi ne tourna pas la tête, mais n’en fut pas moins attentive à la réponse de Keisuke. Elle avait beau dire, elle était très curieuse et pas totalement insensible à ce que le Japonais pouvait penser d’elle. « Oui, la robe lui sied à merveille ! Natsumi-san devrait s‘habiller ainsi plus souvent… » Natsumi entendit parfaitement les paroles de Keisuke, sans savoir si elles lui étaient implicitement destinées ou non. Elle n’était pas mécontente du compliment qui lui était fait et Min Ah put voir poindre sur le joli minois de la Japonaise un sourire plus qu’inhabituel. La fillette était heureuse de voir que le plan qu’elle avait élaboré avec Haroro se concrétisait et avait hâte de pouvoir tout raconter à son camarade. Faisant mine de ne rien avoir entendu, Natsumi se leva et s’approcha du comptoir, juste devant Keisuke. Elle s’y assit et resta silencieuse quelques instants, fixant les aliments. Puis elle leva la tête vers le jeune homme. « A la prochaine occasion, promettez-moi d’être habillé convenablement. » Cette phrase pouvait sonner différemment selon les points de vue. Elle pouvait sembler dure et signifier qu’il était vraiment mal habillé, mais au final, Natsumi s’était elle-même surprise en prononçant les mots « à la prochaine occasion ». Comment pouvait-elle avoir dit ça alors qu’elle ne souhaitait pas de prochaine fois ? Puis elle se leva à nouveau et retourna auprès de Min Ah, qui lui lança un regard désapprobateur. « Qu’y a-t-il ? » demanda-t-elle en remarquant la façon dont la fillette la regardait. Min Ah soupira en secouant la tête. « Natsumi-san, vous devriez être plus gentille avec le papa de Haroro-kun… » Elle n’avait pas tort, seulement Natsumi était trop fière pour admettre qu’elle pouvait sembler et être dure. Elle haussa les épaules, comme si ce que la petite avait dit ne l’atteignait pas. Mais au fond, elle regrettait. Elle tenta alors de changer le sujet de conversation, histoire de ne pas attiser le petit début de conflit. « Keisuke-san, que préparez-nous-vous de bon ? » Rien de tel pour détendre un peu l’atmosphère, elle l’espérait fortement !

En cuisine la pression montait doucement, seul le riz était en chauffe. L’aliment de base indispensable bouillait à l’intérieur d’un cuiseur conçu à cette effigie. Le reste des aliments étaient étalés sur la table de travail, chacun à une place stratégique, il ne restait plus qu’à les cuisiner. Par chance, une des ingrédient était déjà prêt, la sauce au curry. Il manquait plus qu’à découper les tranches de viandes en fin morceaux, les faire revenir et les servir accompagné, ainsi que de faire cuire les légumes. Certes, le plat aurait été meilleur préparé à l’avance, mais Keisuke n’avait pas eu le temps de s’y mettre suffisamment en avance. Il espérait, toutefois, satisfaire les papilles difficiles des trois invités. Bien que concentré sur la découpe des pommes de terre, la présence de Natsumi le perturbait, elle était si proche, juste en face de lui, à l’observer travailler. « A la prochaine occasion, promettez-moi d’être habillé convenablement. » Une sensation de joie le parcourût lorsque les premières mots furent prononcés, certes la suite n’était pas glorieuse et laissait à désirer, mais il s’agissait là de Natsumi. « Oui, promis je ferais un effort. » Il souriait. Les yeux axés sur la poêle, accompagné de Haroro qui avait bien remarqué l’expression radoucit de son père. Il secouait son arrière train joyeusement, lavant ses légumes avant de repartir vers Min Ah !

Les choses partaient vraisemblablement bien, l’ambiance était détendue les enfants s’amusaient et Natsumi, semblait, elle aussi, prendre goût à cette atmosphère ! Dorénavant Keisuke se retrouvait seul aux fourneaux, il se pressait afin de ne pas tirailler d’avantage les estomacs affamés ! Lui-même en avait l’eau à la bouche. Son attention était partagée, il était reconnaissant envers Min Ah de lui porter secours, contrairement à son fils qui passait son temps à chercher la petite bête ! Disons qu’il n’était pas vexé par la remarque de Natsumi, il finirait bien par être rodé aux réflexions désobligeantes. L’étudiante en droit poursuivit la discussion en choisissant un chemin bien moins « caillouteuse ». Une question, simple. « Un plat traditionnel, japonais. Du curry ! J'espère que ça va plaira. » Sitôt annoncé, Haroro soupira gravement et rétorqua, déçu « T’es pas romantique, papa… » Effectivement, le plat n’avait aucune consonance romantique, mais l’idée même de cette soirée était une thématique familial ? Pourtant, Keisuke se sentit fautif, lui qui désirait rappeler les saveurs du pays dans lequel, lui et Natsumi, avait séjourné une longue partie de leur enfance. « Tu dis n’importe quoi Haroro, ce n’est pas fait pour être romantique voyons ! » ses mots étaient incertains, pourtant il savait que ses paroles manquaient de vérité, au fond ce rendez-vous était nécessaire dans le processus de rapprochement de deux êtres que tout éloigne.

Natsumi se sentait perdue face aux combines machiavéliques des deux enfants et à leurs réactions disparates. Une fois, ils semblaient joyeux comme si la plus belle chose qui soit venait d’arriver et la seconde d’après, ils la fixaient, les yeux remplis de désapprobation. Sans s’en rendre compte, ils influaient énormément sur elle, si bien qu’elle avait décidé d’essayer de se retenir pour la suite de la soirée. Raison pour laquelle elle avait demandé le menu du repas que Keisuke préparait ; depuis un moment déjà, la pièce s’emplissait d’une odeur qui lui chatouillait les papilles et elle avait hâte de manger, bien qu’elle ne l’aurait admis pour rien au monde : si Keisuke avait été le chef d’un grand restaurant, il en aurait été bien évidemment différemment. « Un plat traditionnel, japonais. Du curry ! J'espère que ça vous plaira. » A l’entente de ces mots, Natsumi ne put réprimer un regard surpris et charmé. Déjà bien loin dans ses pensées, elle réalisa que cette odeur qui la titillait depuis qu’elle était entrée était bien celle qui lui rappelait son enfance, quand son père lui faisait du curry pour accompagner leur riz de pauvre. Voilà pourquoi cette ambiance lui paraissait familiale. Un sourire timide et réservé apparut sur son visage, pour se faire plus chaleureux et voyant par la suite. « T’es pas romantique, papa… » Natsumi ne fit pas attention à la remarque du petit Haroro et même lorsque Keisuke lui répliqua que ce repas n’était pas censé être romantique, la Japonaise n’ajouta rien. Depuis qu’elle était arrivée en Corée, elle avait mangé du curry plus d’une fois, mais jamais elle n’avait retrouvé les saveurs qu’elle connaissait de son enfance. Aujourd’hui, pour la première fois, elle se sentait de retour chez elle.

Alors elle fit quelque chose d’inattendu, que personne ne l’aurait cru capable de faire. Elle se leva sans un bruit et attrapa un tablier blanc accroché au mur, qu’elle noua rapidement dans son dos. « Yosh, c’est parti ! » dit-elle, se lavant les mains dans l’évier. « Qu’est-ce que je peux faire ? » Elle sentit sur elle les regards ébahis des trois personnes présentes et fit la moue pendant quelques secondes. Elle hésitait à leur confier cette partie de son vécu, cette partie d’elle, qu’elle avait désespérément tenté de cacher depuis qu’elle était arrivée en Corée. La pauvreté et les difficultés qu’elle avait vécues dans son enfance n’était pas quelque chose dont elle souhaitait parler, mais l’atmosphère conviviale continua de faire son effet. Aux regards et expressions surpris, elle finit par répondre. « Lorsque j’étais petite, mon père me faisait du curry dès qu’il le pouvait et c’était alors un soir de fête. Le curry, c’est mon plat préféré. » Embarrassée de s’être ainsi confiée, Natsumi baissa la tête et attrapa un des couteaux posés sur le plateau et commença à jouer avec son manche, confuse. Un peu plus loin, Min Ah et Haroro pouffèrent discrètement, contents de voir l’heureux dénouement de la soirée et espérant qu’il n’y aurait pas davantage de frasques.

Bêtement déstabilisé par les paroles mal jaugées de son garçon, Keisuke avait perdu de sa confidence. La préparation était trop avancée pour faire machine arrière, le bœuf cuisait lentement dans sa poêle, les légumes bouillaient sagement sur le gaz, il ne restait plus grand-chose à préparer. Haroro fixait son paternel désemparé, un sentiment de culpabilité avait du le submerger et il s’excusa aussitôt à l’oreille de son père tout en lui offrant un adorable câlin : de quoi lui redonner un peu d’aplomb ! Quelques secondes plus tard, Natsumi surprit les trois âmes présentes, la jeune femme quitta son siège et se posta au cotés de Kei’, en cuisine. Agréablement surpris, le jeune homme sourit tendrement en direction de la demoiselle, d’avantage lorsqu’elle proposa de collaborer dans la préparation du plat. « Bien, il n’y a plus grand-chose à faire. Il reste simplement le concombre macéré à découper en fine lamelle !  » Un travail ingrat. Un travail qui nécessitait une bonne apnée vue l’odeur qui émanerait du légume fermenté. Finalement, Natsumi avoua, avec une sincérité émouvante, l’histoire de son passé. Touché, le garçon lâcha avec émotion « Alors je suis heureux ! »

Sans plus attendre, il disparut une minute avant de revenir, un petit pot fait de terre cuite, ornés de gravures artisanales, dans les mains. L’objet semblait dater. « J’espère que vous vous sentez prête à plonger dans les abysses de la puanteur…  » Le cuisinier sépara le couvercle de son corps, et enfonça sans hésitation sa main à l’intérieur du réceptacle, attrapant un des légumes « ensablé ». Une épouvantable odeur vint leur chatouiller les narines, une grimace de dégout se dessina sur le visage du garçon et les enfants, qui avaient rejoint le coupe afin d’observer la scène de plus près, riait tout en secouant leur mains devant leurs petits minois ! Soudainement, Keisuke, dans un instant de folie, déposa le concombre sur la planche, et passa sa main sous le nez des deux enfants afin qu’ils subissent l’odeur nauséabonde de plus près. Immature ? Il pouvait bien se le permettre de temps à autres. Haroro se mit à rire bruyamment, « Papa !  » et Min Ah recula, dégoutée. Le japonais riait bêtement de sa bêtise, certes les relents étaient à vomir mais il fallait bien jouer un peu ! Puis il se tourna en direction de Natsumi, lui tendit timidement sa main avant de lui proposer « Vous désirez sentir aussi ?  » Idiot mais adorable.