La journée avait pourtant bien commencé. Oh oui, elle avait tellement bien commencé. Peu de clients, un café presque vide. Ils devaient tous être en train de dormir, et c'était tant mieux. L'avantage avec le samedi matin, c'est que la population jeune du pays qui vient régulièrement dans les cafés – parce qu'il y a l'autre partie de la population, qui passe des journées et des journées à lire des bouquins et à se cultiver, jusqu'à avoir une tête faisant trois fois le volume d'une pastèque – en profite pour dormir. Faire la grasse matinée, vous savez, cette chose que Sae Ri aurait tellement aimé faire en ce moment. Vêtue de son joli uniforme, elle arpentait la salle d'un bout à l'autre, en chantonnant un vieil air coréen. Elle avait déjà servi tous les clients. Oui, toute seule, comme une grande ! En travaillant le samedi matin, la brunette avait une prime. Pendant ce temps, les autres serveuses se reposaient et reprenaient leur service l'après-midi, au moment où Sae Ri quittait justement les lieux. Plutôt ingénieux, n'est-ce pas ? Enfin bref. Donc, tout allait bien jusqu'au moment où Satan en personne finit par faire irruption dans le café. Peut-être avait-il confondu les lieux avec l'enfer ? Mais pourtant, non. La décoration était différente en tout point. Hum, qui est Satan ?

Vous préférez peut-être Jin Su ? La jeune femme avait réussi à l'éviter tout au long de la semaine, même dans la planque des Troublemakers. Après un fâcheux incident qui avait éclaté entre eux, Sae Ri n'avait plus aucune envie de le revoir. De toute façon, à chaque fois qu'il entrait dans son champ de vision, sa vie en était chamboulée et une tonne de problèmes lui tombaient soudainement sur la tête. Comme en ce moment d'ailleurs. Sa présence était problématique, très problématique pour la brunette. Personne ne devait être au courant de son travail, personne. A la base, elle n'avait même pas le droit de travailler. Et si ça venait à se savoir, elle risquerait d'avoir des problèmes. Ce qu'elle cherchait justement à éviter. En premier temps, lorsqu'elle vit entrer Jin Su, elle s'empressa de se cacher, essayant tant bien que mal de se fondre dans le paysage. Mais... Elle était obligée d'aller prendre sa commande. Elle n'avait pas d'autre choix. Son patron surveillait, au loin. Alors elle finit par prendre son courage à deux mains, et par se diriger vers la table où il se trouvait. Oh et puis zut, elle allait se contenter de le traiter comme un inconnu. Un simple client. Sourire faux à l'appui, voilà. « Je peux savoir ce que tu fais ici ? Ca te dirait de dégager, dis ? La sortie est par là-bas, si tu voulais bien être gentil et quitter les lieux, je t'en serais très reconnaissante. » … Le traiter comme n'importe quel client ? Plus tard. Il fallait d'abord commencer par essayer de faire en sorte qu'il ne devienne pas un client.

Si j'avais su ce qui m'attendais, ce matin-là ? Eh bien je n'aurais pas reculer devant ce petit bar/café. Ho non, j'aurais même pris un sale plaisir à m'engouffrer par ses portes vitrées. Ho oui, une totale béatitude. Une jouissance jamais connue. Si j'avais su, j'aurais été deux fois plus heureux. Ce samedi matin, j'avais eu la très bonne idée d'allée faire deux-trois course pour le clan, c'était mon tour d'aller chercher de quoi ravitailler le frigo et le bar. J'avais eut la facheuse tendance d'acheter de l'alcool plus que de jus de fruit. Bon, il faudrait encore que j'arrive à faire passer ça en douce dans l'établissement, ce qui ne serait pas bien difficile. Bref, j'arrivais, les bras chargés, ouvrant maladroitement la porte de mon coude pour pénétrer dans les lieux tranquille puisque peu bondé, du café. Je m'installais à la première table que je trouvais, posais mes courses sur la banquette inoccupée devant moi et je pris place, ôtant, de mon cou, ma légère petite écharpe. C'est là que je la vis. Elle ! Ce pékinois qui se croit tout permis. Le démon de mes nuits aussi. Je la fixait autant abasourdis que complètement agacé. Pourquoi se trouvait-elle toujours là où j'allais. Stupide destin qui nous liait. Et vu son accoutrement, elle n'était pas venu ici pour boire un coup, comme lui... Ce sont ses paroles qui me donnèrent un peu bonne humeur. Un simple coup d'oeil sur le côté me permis d'apercevoir un homme, d'une tenue bien différente, plus classe, avec un badge. Le patron, ça ne faisait aucun doute, et il remplissait des papiers que le facteur avait apporté. Oui, aucun doute, c'était le patron. C'est à voix parfaitement haute, exagérément haute, que je prononçais quelques mots.

« Pardonnez-moi, mademoiselle, mais j'aimerais un café. Je ne pense pas qu'il soit trop tard, comme vous dites, l'heure à la porte m'annonce que vous servez encore. J'aimerais donc un frappé cappuccino, avec un sucre. Merci. » Je lui fis un signe de tête en direction du comptoir, afin de lui montrer que son patron venait de relever la tête pour nous regarder étrangement ou, plutôt, pour regarder son employée étrangement. Aha, j'en riais intérieurement rien que de pouvoir la mettre dans une situation délicate. Mais après tout, là, c'est elle qui avait commencé. Elle n'avait qu'à pas vouloir m'évincer comme ça...

Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas pourquoi est-ce qu'il fallait qu'il se trouve sur son chemin à chaque fois. Ce n'était pas la première fois, et surement pas la dernière. Regardez, n'était-ce pas ironique ? Elle avait réussi à l'éviter avec brio à l'université, et le voilà qui débarquait dans son lieu de travail. Qui était ignoré de tous. Par un simple coup du hasard. Impossible qu'il ait pu être au courant de son boulot, non ? Donc, il ne pouvait s'agir que du hasard. Et il en faisait un peu trop, justement, le hasard. Puis, sérieusement... Pourquoi s'acharner à vouloir les réunir dans un même endroit de toute façon ? Dès qu'ils se retrouvent ensemble, ils s'entretuent. C'est à se demander si ce n'est pas inné chez eux de s'insupporter l'un l'autre. Quoique... Le comportement de Jin Su avait légèrement changé, en fait. Il n'était plus seulement insupportable, il était aussi devenu incompréhensible, et illogique. Oui, Sae Ri n'avait toujours pas réussi à avaler la pilule du collier – qu'elle avait autour du cou, d'ailleurs – et puis de ses réactions excessives dès qu'il était question de son frère ou de Drew. Enfin. Ornant son visage d'un sourire des plus commerciales, elle se dirigea vers sa table puis gentiment lui demander de quitter les lieux. Sauf que sa réponse...

« Pardonnez-moi, mademoiselle, mais j'aimerais un café. Je ne pense pas qu'il soit trop tard, comme vous dites, l'heure à la porte m'annonce que vous servez encore. J'aimerais donc un frappé cappuccino, avec un sucre. Merci. » Et il avait besoin de crier autant pour demander un café ? Sur le moment, la jeune femme dut se retenir pour ne pas lui sauter au cou et l'étrangler. Le sourire sur le visage de Sae Ri ne put perdurer bien longtemps puisque son agacement finit par reprendre le dessus. Elle se mordillait la lèvre inférieure, un peu démunie. Il ne voulait pas partir, elle ne pouvait donc pas l'y obliger. Rapidement, elle se retourna vers son patron, souriant un peu, d'un air gêné, avant de se retourner de nouveau vers Jin Su. Elle se pencha vers lui, rapprochant son visage du sien, laissant ses longs cheveux noirs pendre d'un côté et de l'autre, ainsi son patron ne pourrait rien voir de leur petit tête-à-tête. « Ecoute. Ton cappucino, tu vas l'avoir. Et aussitôt fait, dépêche-toi de partir. Ne dis à personne que tu m'as vu ici. Ne dis à personne que je travaille ici. Garde ça pour toi. Je me suis bien faite comprendre ? »

En fait, j'étais là parfaitement par hasard. Je n'aurais jamais pu deviner qu'elle travaillait ici et même si ça m'avait surpris au point de m'en décrocher la mâchoire, j'avais tenté de ne trop rien montrer. J'eus raison, vu sa réaction... Eh bien quoi ? Elle cherchait quand même à me mettre dehors mais il faut dire qu'on ne se débarrasse jamais de moi aussi facilement. Pour tout avouer, on ne se débarrasse jamais de moi. Je suis aussi collant que de la glu. Aussi persistant que de la mauvaise herbe. Et j'arrive facilement à saouler plus rapidement que 5 verres de vodka. Bref, avec moi, c'est la misère une fois que l'on est dans mes petits papiers. Bref, quoi qu'il en soit, j'étais parfaitement installé sur ma chaise et quoi qu'elle me dise, je comptais rester là et prendre mon double latte. Je la laissais se pencher vers moi, ne faisant plus attention à son patron qui, surement, devait se demander la raison d'un tel comportement de notre part. « Et qu'est-ce que ça ferait si je le disais ? »

Je lui adressais un large sourire avant d'incliner la tête, m'approchant un peu plus d'elle, jusqu'à ce que nos souffles se confondent. « Ecoute, miss j'emmerde tout le monde. Je suis ici en client. Contente toi de me servir et fout-moi la paix. » J'attrapais ma veste pour en sortir mon portable et pianotais sur ce dernier, regardais mes messages etc. Jusqu'à ce que je sache Sae Ri loin de moi. De là, je la regardais discrètement préparé mon cappuccino d'un air amusé. Mine de rien, cette tenue lui allait très bien. Sexy je dirais même. Bref, quoi qu'il en soit, je reportais mon attention sur mon portable.Près d'une minute après, je recevais mon café devant moi. Je regardais la tasse puis Sae Ri avant d'arborer un large sourire.« J'ai demandé un cappuccino. Je ne vois pas où est la chantilly là. Vous êtes en rade ? J'en veux plus, merci. » Je repoussais la tasse vers elle. Chieur ? Oui, et je n'avais pas terminé. Elle voulait me voir partir ? J'allais lui donner une vraie raison de me vouloir voir déserter les lieux. Une très bonne même.

« Et qu'est-ce que ça ferait si je le disais ? » Oh, mais rien, rien du tout. Cela aurait juste pour conséquence qu'elle perde sa bourse, qu'elle ne puisse plus payer ses études, et qu'elle se retrouve donc à mendier dans la rue. Elle avait passé une sorte de « contrat » avec l'université. Elle avait une bourse, son logement était payé par l'université, mais en échange, elle devait avoir d'excellents résultats et se consacrer pleinement à ses études. Pour faire simple, il lui était interdit d'avoir un emploi même à mi-temps. Mais pourtant, elle en avait un, et si l'administration de l'université venait à l'apprendre, elle risquerait de se retrouver dans une situation très compliquée. « Ecoute, miss j'emmerde tout le monde. Je suis ici en client. Contente toi de me servir et fout-moi la paix. » Il lui sortait par les yeux. Elle allait finir par le tuer, un jour. Miss j'emmerde tout le monde ? Mais qui était en train d'emmerder l'autre au juste ? Ici en client... Mon dieu, rien que l'idée de devoir lui obéir et de devoir se plier à ce qu'il lui disait lui donnait des boutons. « Ce que ça ferait ? Je n'ai pas le droit de travailler, je me ferais virer de l'université, voilà ce que ça ferait ! » Elle avait haussé le ton, sans le vouloir. Elle essaya de reprendre son calme. « D'accord. Je vais te servir, et te foutre la paix. Aussi tôt que ce sera fait, pars. » Oui, elle insistait, encore et encore. Elle ne voulait pas qu'il reste. Mais qu'il parte, bon dieu, qu'il parte ! Il y en avait tous les trois mètres dans cette rue, des cafés. Pourquoi celui-là, hein ?

Donc, elle alla lui préparer son cappuccino comme il le lui avait demandé. Elle avait décidé de le traiter en client. Donc, vouvoiement de rigueur. Et puis, cela ferait d'une pierre deux coups. Elle aurait à supporter moins de remarques de sa part. Quoique, non. En fait, cela ne changeait rien, vouvoiement ou pas. « J'ai demandé un cappuccino. Je ne vois pas où est la chantilly là. Vous êtes en rade ? J'en veux plus, merci. » Il souriait. Et mon dieu, ce que ça pouvait l'agacer. Mais elle se força à sourire. Elle reprit la tasse, et dès le premier pas qu'elle fit, elle lui écrasa le pied. « Oh, ce que je suis maladroite alors. Je suis si désolée. Je ne l'ai pas fait exprès. ~ » qu'elle dit, avant de finalement retrouver derrière le comptoir. Elle revint donc avec un cappuccino, avec de la chantilly, beaucoup de chantilly. Peut-être qu'ainsi il se déciderait enfin à lui ficher la paix ? « Voilà votre cappuccino. Avec de la chantilly, comme vous l'avez demandé. » Elle le déposa sur la table et tourna les talons, s'apprêtant à partir.

Ah oui ? Si ça venait à se savoir elle se retrouverait dans une fâcheuse posture ? Vraiment ? C'était intéressant soudainement... Un peu comme s'il venait d'apprendre quelque chose de très important qui pourrait lui facilité la vie à l'avenir. Eh bien oui, maintenant, il avait quelque chose pour lui faire du chantage si jamais il venait à en avoir besoin. C'était vraiment très intéressant. D'ailleurs, son sourire s'était soudainement agrandit. Vraiment, elle aurait du lui dire autre chose plutôt que la stricte vérité... Il ferma son téléphone portable, le rangeant dans la poche de sa veste avant de porter toute son attention sur elle. Elle était naïve ou bien ? Elle partie néanmoins pour lui préparer son café. Son cappuccino. Mais quand elle lui apporta la tasse, il trouva quelque chose à lui redire quand au peu de chantilly qu'elle lui avait mit. En repartant, la tasse en main, elle n'hésita pas à lui écraser le pied, le faisant récupérer son pied d'un geste vif, se cognant le genoux contre le dessous de table. Les larmes aux yeux, juste parce que la douleur avait agit sur ses nerfs, il se frotta le genoux, frotta son pied contre sa cheville tout en la foudroyant du regard. Quelle peste... Vraiment, elle méritait pire que d'être virée de son lycée ! Tch...

Quelques minutes plus tard, la revoilà avec son cappuccino et une petite montagne de chantilly. Bien. Mais ça n'était sûrement pas fini pour elle. Alors qu'elle se tournait pour retourner au bar, un fracas de porcelaine brisa le silence. Puis la voix de Jin Su teinté d'une pointe d'ironie. « Quel maladroit je fais ! Je suis sincèrement désolé pour les dégâts, la tasse était brûlante, ça m'a surpris...» Et quand elle se retourna, il arbora une mine affreusement et faussement désolée. Il posa son index sur ses lèvres, la forçant à se pencher pour venir lui murmurer au creux de l'oreille. « J'ai hâte de te voir à quatre pattes... nettoyer le sol à mes pieds... » Il arbora un sourire fier avant de lui tendre une serviette, comme si ça pouvait lui permettre d'éponger un peu les dégâts.