It’s been a long time ...

Ce que je pouvais m’ennuyer. J’avais passé ma journée à travailler sur tel ou tel devoir qui m’avait salement pris la tête, alors l’idée de prendre l’air m’apparut comme une évidence. Où j’allais m’importait, tant que c’était un endroit loin de toute cette atmosphère … matheuse et pompeuse. Je n’avais plus d’énergie pour rien, c’était comme si on m’avait fait boire des bouteilles de Jack avant de me faire rouler sur le sol. Etrange comparaison, je l’avoue. Mais je savais exactement où je trouverai cette agréable ambiance de nonchalance et de détente presque absolue : chez Tan. Presque, car il y avait Tan … chez Tan. Evident mais important. Et même si j’avais d’abord pensé à la planque des Troublemakers, le fait qu’elle soit bien trop loin de chez moi m’avait vite dissuadé d’y faire un tour. Je sais que Tan me laissera entrer, me laissera m’étendre sur son canapé-lit, me laissera piquer dans son mini-frigo : Tan me laisse tout faire. En fait, il laisse tout le monde tout faire, car Tan, il est comme ça.

« Tan, Tan, Tan. Tu ouvres quand tu veux … » fis-je en toquant en mesure avec prénom, provoquant de petits échos se baladant dans le couloir du pallier.

Je n’avais pas vraiment envie de rester plantée là des heures, alors je lançais une seconde salve, espérant qu’il ne lève enfin son imposant fessier. Soit il était entrain de ranger en quatrième vitesse les mouchoirs et chaussettes utilisées à … je ne veux vraiment pas savoir ce qu’il aurait pu en faire, ni comment. Ou alors il se réveillait difficilement après une longue nuit passée dans un des bars de Séoul ; ce qui était très probablement le cas.

« Sebastian Alejandro Don Diego De La Vega-Lee, tu es prié de t’amener dans les secondes qui suivent. Sinon je révèle à tout le monde combien ton anatomie se résume à bien peu d’envergure, » poursuivis-je sur un ton taquin mais sarcastique.

J'étais toujours de très bonne humeur en allant voir Tan, bien que je l'évitais un peu en ce moment. Ne me demandez pas pourquoi j'étais venue aujourd'hui ... Peut-être par curiosité ?

Longue journée. Très longue. Pourtant, je n'avais eu que deux heures de cours de sciences physique. La faculté, c'est cool, je vous l'accorde. Mais moins d'heure en classe est simplement traduit par plus d'effort à fournir chez soi, sortant directement des tripes. Les études supérieures... Ce concept semble perdre vite de son charme, de son avantage. Alors, mon après-midi s'était résumé à ingérer une grosse quantité de café et davantage de matière pure. Mon sol est jonché par des graphiques, des photocopies en masse, des livres, ma calculatrice, ... Un bordel, néanmoins un bordel organisé ; chaque coin possède sa propriété, qui lui est propre. La table basse, aussi, est recouverte de mes traces intellectuelles. Cependant, j'avais tout laisser en suspend pour deux minutes. Enfin, selon mes plans. Mais mon corps fut brutalement attiré par mon lit, des draps blancs, respirant la fraicheur et la détente ... Me déshabillant précipitamment, j'eus l'envie de goûter à la sensation de ce met de choix. La réaction ne se fit pas attendre, dans la minute, mes paupières s'étaient closes et Morphée me tira avec brutalité dans la cage que formait ses bras.

Un bruit sourd. Des coups contre la porte. Le réveil le moins agréable du monde. Subitement, j'ouvre les yeux, le coeur battant la chamade par cette alerte causée. Une voix douce et chantonnante traverse l'épaisseur minime de la porte. Sa tonalité m'est familière et je la reconnais sur le champ ; Jade. « Sebastian Alejandro Don Diego De La Vega-Lee, tu es prié de t’amener dans les secondes qui suivent. Sinon je révèle à tout le monde combien ton anatomie se résume à bien peu d’envergure ». Oui, si reconnaissable. J'étire lentement mes muscles, passe mes doigts frais sur mon visage, l'éveillant d'avantage. Un pied dehors, puis vient le second. J'avale péniblement un reste de salive, les cheveux en bataille, le bas du ventre qui me démange. Passant l'obstacle de mes cours, j'accroche mes doigts brutalement sur la poignet et l'autre. Des sourcils froncés, un corps presque à nu et endormi sous ses yeux, une trace d'oreiller au coin de la face. Il est là Sebastian Alejandro Don Diego De La Vega-Lee.

- Ouais ? Qu'est ce t'as ?

Désagréable. Sans gêne. Franc. Bienvenue Jade. Je la laisse toutefois entrer, lui tournant le dos afin de me saisir d'une bouteille d'eau et d'en vider le contenu à gros goulot. Bien que je l'ai accueillis de cette façon, Jade me connait suffisamment pour avoir vécu à mes côtés il fut un temps et donc, ne pas le prendre à mal. Je ne suis pas du réveil.

Le couloir était long, sombre et les lumières jouaient avec mes nerfs. Ici, le son passait comme à travers du papier ; grâce à cela, j’avais la chance d’entre le bruit de goutes tombant les unes après les autres … Intéressant. Ce son se mêla à celui que faisait Tan en marchant sur le sol : il allait m’ouvrir d’une seconde à l’autre et je pourrais savoir ce qu’il faisait l’instant précédent grâce à sa tête. Eh ouais, il est si facile de lire en Tan ; et ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose. « Ouais ? Qu'est ce t'as ? » Ouh, cette expression, il n’avait pas l’air très frais. J’entre et referme la porte derrière moi. Je suis Tan et souris en voyant autant de feuilles éparpillées sur le sol : il pouvait passer du temps à travailler, mais jamais il n’apprendrait à être un minimum ordonné, vous voyez ? Son lit devient trop important au bout d’un certain temps, pauvre garçon.

« Bonjour à toi aussi, Tan, » lui glissai-je, près de lui, la main sur ses cheveux – essayant d’en remettre le plus possible en ordre, chose guère facile. « Bière ou café ? »

Je me dirige vers la cafetière en observant qu’elle avait dû être utilisée nombre de fois aujourd’hui ; il y avait des traces du liquide brun sur les côtés et des capsules mortes, pas jetées à la poubelle, évidemment. Un coup d’éponge et le tout reprenait vie : le tout était de trouver une éponge assez conséquente pour faire de même avec Tan.

« ‘Travaillais sur quoi ? » J’avais cette fâcheuse habitude de réduire certaines de mes phrases aux verbes, ou ce qui était le plus important à exprimer, ce qui revenait souvent à enlever les sujets ou quelques uns des compléments.

En prenant une des feuilles où il avait gribouillé, je n’avais pu m’empêcher de lâcher un petit rire en rapport avec son écriture, que je trouvais brouillonne mais mignonne (et oui, c’est possible). Pendant que le café coulait lentement dans un boucan digne des plus grandes cafetières, je revins derrière lui et dans un geste tendre – bien qu’incontrôlé ou plutôt mal contrôlé – je passai mes bras en-dessous des siens, l’étreignant doucement. Oh oui, Tan, tu m’avais manqué et pas qu’un peu.

Oui ma chambre est un gros foutoir. Entre cours, fringues et conneries en tout genre. Mais je ne dispose pas de suffisamment de temps pour ranger. Ou du moins, c'est l'excuse que je me trouve. Jade le sait bien, elle me connait bordélique, voilà pourquoi, je n'ai plus aucune gêne. Elle entre, fais le constat, l'état des lieux. Un petit sourire se dessine au coin de mes lèvres à ce tableau. La belle brune ne semble guère étonnée. Toutefois, je ne répond ni à sa salutation, ni à sa question. La cafetière est déjà mise en route. Elle travaille durement, ces jours ci, la pauvre, je risque de l'user avant la fin de l'année à cette allure, enfin. Distraitement, je me penche, saisit les feuilles et les dispose en petit tas sur la table basse. Simple question de pratique, épuré un peu plus l'espace minime dont je dispose. Pour Jade. Alors que je me redresse, des bras enlacent ma taille. Surprise. Le café goûte rapidement dans le récipient de verre prévu à cet effet, le parfum, brute, s'en dégage et embrasse la pièce. Elle a rit, je n'ai pas fait attention.

- J'étudiais de la physique. ... et fais pas genre. Tu m'évitais ces derniers temps, non ? J'pouvais même plus croiser ton regard, tu détournais le tiens. Et pas un mot. Explication peut-être ?

Je défais doucement la prise qu'elle a, me retourne, lui faisant face. Mon ton doit être des plus désagréables, mais l'intention n'y est pas. Pour le prouver, mes traits s'étirent légèrement, visiblement endormi, encore un peu. Ma main saisit la sienne et l'attire sur le petit nid douillé que je m'étais créer tantôt. Nous nous y allongeons tout les deux sur le flanc. Mon regard croise inévitablement le sien, l'accroche, ne le lâche plus. Elle a bonne mine elle, radieuse, fraiche, ainsi mes doigts viennent à l'encontre de l'une de ses joues. Oui, sa peau est toujours aussi douce et d'un teint uniforme, parfait. Machinalement, je comble le peu d'espace, colle mon front contre le sien et mes paupières se ferment fatalement. Cette proximité me fait tout drôle soudainement. Sentir son parfum, avoir sa présence chaleureuse à ma portée, pouvoir emmêler mes doigts à ses mèches. A la limite d'une simple rêverie, mais elle est bien présente. Cela faisait longtemps ... En effet.

Du café, je n'en buvais que très rarement et que très peu. N'allez pas me demander comme une fumeuse comme moi ne pouvait pas boire du café par plaisir. La première fois où j'ai réellement apprécié un café avait été lors de notre premier rendez-vous, à Tan et moi. Je m'en souviens encore et l'odeur des grains bruns me le rappellent toujours. Notre café. « Tu m'évitais ces derniers temps, non ? » Mais nooon, comment pouvait-il affirmer une telle chose ? « J'pouvais même plus croiser ton regard, tu détournais le tiens. Et pas un mot. Explication peut-être ? » Aucune, c'est sûrement pour cela que je ne lui réponds pas et il le sait très bien. Je fais rouler mes yeux de bas en haut pour ensuite fixer la cafetière n'ayant définitivement pas encore fini son travail, l'acharnée.
Tan se tourne, me fait face, me regarde avec son air qui me plaît tant. Et il le sait, cette bouille ne m'est pas indifférente; celle que je voyais au réveil des beaux jours. Je sens sa main, et déjà nous nous retrouvons lentement sur son lit - ou ce qui avait eu l'air d'en être un. Je ne peux éviter son regard, aussi précieux, lumineux et perçant soit-il. Nos fronts se touchent et ne se détachent plus : il est là. Je sens son souffle, chaud mais discret. Et à mesure que je ferme mes paupières, ma tête pivote machinalement avec un air de déjà-vu; nos nez se frôlent, peut-être bien plusieurs fois, je n'en sais rien. Mes lèvres aimeraient atteindre les siennes autant que j'aimerais atteindre Tan tout entier. Mais là, c'est l'image de la petite Ciel, que je vois, gênée après une simple discussion avec l'homme qui animait nos journées. Un sourire se dessine sur mes lèvres :

« Mauvaise idée, » que je lui chuchote.

Je ne savais pas qu'une fille avec autant de morale aurait pu être présente en moi. Plus tôt, je n'aurais pas fait ce genre de choses, je ne me serais pas ainsi retenue ... Je me laisse glisser doucement de l'autre côté du matelas, quittant sa main avec peine. Je marche en direction de la cafetière, une nouvelle fois; à croire que je n'avais d'yeux que pour elle, aujourd'hui. Puis en essayant de défaire l'atmosphère pesante qui s'était installée, je me sers une tasse et parle d'autre chose. J’aimerais lui toucher un mot à propos de Ciel, là, maintenant, tout de suite.

« Alors, la fête des Headlights ? »

À croire que j'avais vraiment perdu ma langue et mes tripes, ces temps-ci. Je n'ai trouvé que ça, désolée Tan.

Ma question était tout simplement tombée dans le néant. Alors ce n’était juste qu’une passe ? Une humeur dont elle s’était entichée sans que le principal intéressé, c'est-à-dire moi, ne soit avertis. Exactement comme cette fois, où elle m’avait quitté. Aujourd’hui encore, j’en suis frustré. Un soupçon de déception en travers de la gorge aussi, néanmoins, aucune colère. Étrangement. Toutefois, je revis présentement une sensation, qui me fut un jour, familière. Je sens son visage, sous mes doigts, s’orienter correctement, cherchant très certainement un contact de mes lèvres charnues. Elles l’attendent, brûlantes de désir comme jamais. Je sens la pompeuse dans ma poitrine se secouer subtilement. Le but est proche et pourtant. Jade a ce don. Ce don de me faire espérer, croire jusqu’au rapprochement infini pour mieux ensuite se refuser à moi. Voluptueusement, sa voix s’écrase contre ma bouche, ma main quitte –malgré elle- son emprise et ainsi, cette brune se lève et m’échappe. Qu’étais-ce au juste ? Une mauvaise idée ? Une douce illusion qui aurait pour simple but de me tordre les entrailles ? C’est le cas. Je me retourne sur le ventre, le visage et mon attention suivent le moindre de ses pas au sol. Elle se sert une simple tasse de café, comme si les lieux lui appartenaient. Et je lui cède volontiers. Mes doigts glissent le long des draps, saisissent un paquet de cigarettes. J’en extirpe une d'entre elles, écoutant les propos de Jade. Une jolie voix, je l’ai toujours pensé. Loin de la niaiserie, ni même d’un volume trop élevé, non, juste une forme de perfection. La sienne.

La fête des Headlights, hein. Le briquet échappe une longue mèche de couleur orangé. Cette dernière vient se frotter à l’extrémité du tabac roulé et le brûle soudainement. Une fumée grise fuit de mes lèvres, tandis que mes prunelles accrochent les siennes avec violence. Un air grave, non voulu.

- La soirée des Headlights ? Tu veux savoir avec qui j’y vais, c'est ça ? J’ai invité Kayla. J’compte bien m’y amuser, ça sera blindé de belles choses à voler ~

Kayla, c'est le bon choix stratégique. Je connais parfaitement son côté et ses idées loufoques, pour avoir moi-même, déjà, était l'un des témoins de ses crises de folies. Je repose mon visage sur l’oreiller, la fixant. Mon bras, quant à lui, pend dans le vide et laisse la clope se mourir entre mes doigts. De temps en autre, elle est ramenée à mes lèvres qui la dévore volontiers.

- Et toi ? Quant est-il ?

Je n'ose imaginer ce à quoi il pense, là, à cet instant; bien que j'aimerais tant le savoir. Était-il déçu ? Énervé ? Ou avait-il plutôt cet arrière-goût fade, comme ce sentiment amer qui s'amusait à réduire ma poitrine en cendres. Les mêmes cendres qu'il vient déposer dans son cendrier, à mesure que son tabac se consume, que la fumée se dissipe. Je prends le mug à deux mains, me retourne en sa direction et m'appuie sur le plan de travail, comme chez moi. À vrai dire, nous avions gardé cette familiarité entre nous, comme si nous étions encore amants. Comme si nous l'étions encore, oui. Il me regarde, d'un air sauvage et ronchon qui lui était propre. Ses yeux sont tentation, Tan est désir. Ce que je peux comprendre Ciel et son petit coeur; à moins d'être solide face à Tan, vous vacillez en un rien de temps.
Mais c'est Kayla qui aura le précieux droit d'avoir Tan à ces côtés. Je prends une mine un peu surprise, car ce n'est pas la personne que j'aurais mis avec. Je trouvais Kayla intéressante, par sa façon d'être et pour sa joie de vivre; c'était une bonne Troublemaker, il n'y avait rien à redire là-dessus. Tan et elle s'amuseront bien, sans aucun doute. Les rouges devaient un peu passer à l'action et cette soirée était l'occasion rêvée : à nous de réaliser nos prouesses, à présent.

« Tiens, je pensais plutôt t'y voir avec Jouflette, dommage, » lui dis-je en inclinant la tête, sans vraiment d'expression particulière. « Je pense y aller seule, de mon côté. »

Ou bien j'irai avec Ciel. Quoique voir Tan et Kayla ensemble pourrait être fatal pour la petite brune. Je bois une gorgée du liquide chaud et marche jusqu'à une chaise sur laquelle je m'assieds. Je croise les jambes et remue doucement le bout du nez, fâcheux tique que j'avais depuis quelques années déjà. Je regarde Tan, puis le cendrier, et lui encore.

« Je trouverai bien quelque chose ou quelqu'un à me mettre sous la dent. Et puis, récupérer quelques informations sur les bleus et les oranges ne ferait pas de mal non plus ... »

Un nuage de fumée arrive jusqu'à moi, celui de Tan, encore et toujours. Je me penche - en manquant de tomber de la chaise - et agrippe la poignée de la fenêtre. Le ciel commence à s'assombrir et le vent se fait sentir plus frais.

Je soupire une seconde, franchement désolé par ce qu'elle dit. J'avais presque eu envie d'y aller avec elle, sentir ses doigts agrippés à mon bras. Mais n'étais-ce pas trop espéré ? Je le crains. Elle confirme mes pensées secrètes. Bien que je ne suis pas à plaindre, Kayla fait une parfaite cavalière. Mes yeux suivent les mouvements, les pas de la jeune femme jusqu'à ce qu'elle s'assit sur l'unique chaise de la chambre. Une dernière dose de nicotine et j'abandonne le petit mégot dans sa poubelle de cendre. Enfin, une fine fumée s'échappe de mes lèvres, je la vois l'atteindre, m'entourer de ce parfum familier. Moi, je ne le peux guère.

- Pourquoi Ciel ? Pourquoi pas toi ?

C'est dit. Ces paroles m'ont échappé. Je ne peux pas mesurer mes propos, c'est tellement plus fort que moi, que ma propre conscience. Mais ce qui me révolte est cette image de la jolie Jade sans aucun partenaire. Ce serait tout simplement inhumain. Néanmoins, égoïstement, je ne l'imagine avec aucun autre que moi. Je me redresse, soulève les draps.

- Je plaisante, hein. Mauvaise idée ~

Il est si aisé de reprendre ses propos. J'espère toutefois pincé son coeur avec mes dires. Juste, une fois. Une dernière si elle est possible. Ne serait-ce que pour soulager le mien et pour mon ego. Les Hommes sont bien puérile. Ma main passe rapidement dans mes cheveux, les ébouriffe rapidement avant de me lever vers le petit frigo. Dos à elle, une bouteille entre les mains :

- Fais attention à ne pas tomber. Mais dis moi plutôt Jade, qu'est ce que tu fais là ? Tu as des choses précises à me dire ?

La bouteille d'eau est amené à des lèvres et je me délecte de cette fraicheur glissante dans ma gorge. La sensation d'une bonne hydratation est si agréable que mes yeux se ferment, des filets d'eau en fuient de part et d'autre de ma bouche. Comme dans une publicité.

« Pourquoi Ciel ? Pourquoi pas toi ? » Bonnes questions, Tan. Si tu savais combien j’aurais aimé que tu toques à ma porte il y a une semaine pour me demander de t’accompagner, au lieu d’entendre dire par Ciel – la pauvre, elle avait l’air d’avoir envie de se pendre sur le coup – que tu avais demandé la compagnie de Kayla. Mais je n’en ferais pas une affaire, oh non, car cette soirée ne sera pas qu’une simple soirée. Nous préparons tellement de choses ; c’est bien étonnant de voir que Tan ne se doute encore de rien. Lui mentir ne me fait pas grand-chose, après tout, je l’ai bien quitté sur un mensonge. Je ne t’aime plus, j’ai besoin d’air, mais bien sûr … Mais c’est plutôt de croiser son regard plein de tendresse, plein de sentiments et de questions auxquels je ne peux répondre. Ciel et moi avions échafaudé un mauvais coup contre Hyo Sun et la plupart des Troubles étaient au courant … sauf Tan, un bon ami de la future victime. Evidemment, nous l’avons caché à Tan, car nous savions tous qu’il aurait demandé la fin de cette mission : or nous avons besoin de cette mission, les Peekers devaient tomber et vite.

Je croise son regard et il me dit sur un ton sarcastique qu’aller ensemble à la soirée des Headlights n’aurait pas été une bonne idée. Sur le coup, j’eus failli lâcher un petit ‘je suis de ton avis’ qui aurait sûrement été de trop. Pourquoi plaisantait-il sur ce sujet ? Je me demande si c’est parce qu’il est un poil vexé ou bien parce qu’il n’aurait pas vraiment eu envie d’y aller avec moi … Aucun doute, Tan avait dû mal le prendre, le fait que je n’ai pas contesté sa décision d’y aller avec Kayla et non avec moi. Eh ouais, j’aurais dû.

« J’avais envie de me détendre, en fait. J’aime ta piaule et ton taudis … » Je me pince les lèvres et le fixe avec un petit sourire narquois ; j’avais envie de la taquiner un peu aujourd’hui : « Qu’est-ce que tu penses de Kayla ? Et … de Ciel ? »

Si Ciel savait que j’avais été aussi directe, elle m’aurait probablement lancé son poulet frit au visage. Mais bon, énoncer Kayla permettait de noyer un peu le poisson, enfin j’espère. Allez Tan, un petit effort …

Mon taudis ? En effet, mon pauvre antre n’est pas digne du luxueux bâtiment C, ni même du modeste B. Non, c’est ma putain de piaule, mal rangé, toutefois dans un bordel organisé. Je partage une cuisine et une salle de bain avec d’autres. Mais le troisième étage me permet une accessibilité au toit, où il est bon d’y consommer une dose de nicotine sous le clair de lune. Et ainsi, Jade s’y plait. J’aurais pu croire, en effet, que cette belle asiatique ne cherchait seulement que la chaleur d’un cocon qui lui est familier. Seulement, ce qui en suit, les paroles qui bravent la barrière de ses lèvres dans un ton et un son mélodieux, naturel au possible, m’annonce clairement que non. Ce n’est pas juste ça. Pourquoi est ce que le nom de Ciel revient constamment ? Pense-t-elle que je n'y vois que du feu ? Son sourire narquois ne prend pas, mon expression demeure complètement fermée, sceptique, tandis que mes sourcils se froncent. Je m'avance vers elle dans une démarche nonchalante, arrive à sa hauteur et plaque brusquement mes mains sur ses cuisses, sans mal. Mon visage se tend vers le sien, la mâchoire serrée.

- Ce que je pense de Kayla ? C'est une fille tordue, pleine de vie et très jolie. Je l'aime bien. Pourquoi ~?

Naturellement, j'évite la question qui concerne Ciel, observant simplement sa réaction. Je n'ai rien contre notre petite joufflue, au contraire, j'y suis très attaché et ça ne s'explique pas. Elle est de la famille. Cependant, je n'apporterais pas la réponse que souhaiterais entendre Jade. Ce serait si facile, alors qu'elle, tant de fois elle m'a bercé et torturé de ses douces paroles. A mon tour.

- C'est pas pour rien que je lui ai demandé de m'accompagner pour cette soirée, non ?

J'approche ma joue de la sienne, met en contact ses parcelles de peau qui se connaissaient si bien autrefois. Cette nostalgie déclenche un frisson, une sensation électrique le long de mon échine. Mes lèvres attrapent le lobe de son oreille, pour enfin lâcher.

- Et Ciel ...? Pourquoi ? Tu ne devines pas ?

Mes mains remontent en aval sur ses cuisses, mon visage se niche contre son cou, où son parfum exalte mes sens, fait le bonheur de mon nez. Dans un souffle, je ne peux retenir de poursuivre, sans même lui laisser le temps de répliquer. J'ai la parole, je mène la conversation, je domine donc, n'est ce pas ?

- Et toi ? Qu'est ce que tu penses de ... Lee Tan ?

Je lève la tête, lui perce le regard d'une force voulue, contrôlée.

Tan doit être une des seules personnes à savoir comment me troubler ; enfin, le sait-il vraiment l'effet qu'il procure ? Dans un sens, je pense même qu’il ne le fait pas intentionnellement : Tan fait partie de ces gens qui savent vous faire ressentir des choses, des émotions, des sentiments. D’un autre côté, il doit être conscient du pouvoir qu’il a sur les autres, y compris sur moi : et il aime décidément en faire usage. Devrais-je continuer à jouer aussi ?
Ses réponses ne mènent à rien, il ne m’en dévoile pas plus que ça. Je suis déçue, moi qui croyais avoir une quelconque importance pour lui et pour l’histoire des Troublemakers. M’enfin, tout a une limite. Excepté le chemin qu’empruntent ses mains fortes et entreprenantes. Le brun tant convoité s’approche de moi, toujours un peu plus. Nos visages se frôlent et l’espace d’un instant ; il était là, en-face, ses yeux rivés aux miens. Plus que rapidement, il s’empare de mon oreille comme de mon corps tout entier : c’est si facile pour lui … Je n’entends déjà plus ce qu’il me raconte et pour tout avouer, je m’en contrebalance à cet instant précis. Rappelez-moi pourquoi je l’ai quitté ?

« Quel gâchis, » les quelques mots s’échappent de ma tête.

Ma tête me dit de le repousser, mon corps et ma poitrine soutiennent le contraire. D’un geste lent, j’appuie mes doigts sur son torse pour ensuite exercer une légère pression ; mais l’envie de l’envoyer une nouvelle fois balader n’y est pas, pas du tout même. Alors ils glissent jusqu’à ses mains posées sur mes cuisses et s’entremêlent avec ses propres doigts, ne sachant pas vraiment s’il fallait les retirer ou s’y attacher. En là réside toute la question, que faut-il faire avec Lee Tan ? Qu’est-ce que je pense de Lee Tan ? Qu’on m’aide, par pitié, car moi-même, je suis perdue. Il me déroute, barre chaque chemin que je me fraie à nouveau. Il lève la tête et me regarde intensément. D’habitude, j’aurais soutenu son regard avec autant de fougue, ou bien je l’aurais aisément dévié. J’ai l’impression d’être faible … je suis faible. Mais je n’échappe à rien, cette fois ; mes yeux jouent avec les siens. Mon regard doit sembler un peu triste ou soucieux, je n’en sais trop rien.

« Lee Tan ? Déjà entendu parler dans les vestiaires, me semble ; paraît qu’elles en sont toutes folles, » lançai-je dans la continuité.

La seule chose dont je suis sure en ce moment-même, c’est que le chef des Troubles’ a tout intérêt à arrêter ses avances avant que je ne finisse par céder. Qu’il n’espère pas s’en tirer ainsi, ce n’est pas encore fini.

Je sens Jade totalement détendue sous mes doigts, loin d'être sur la défensive comme j'aurais pu le penser. Je peux en déduire que ce rapprochement ne l'ennuie donc pas. Tant bien que sa pensée dépasse ses paroles. J’ignore de ce qu’il s’agit, ni même ce à quoi elle songe, mais je trouve aussi qu’une chose a été gâché. Notre duo. Ses doigts s’écrasent sur ma peau, me la glace alors que la température de son corps est parfaitement normal. Est-ce moi qui suis un cran plus chaud ? Ne me repousse pas … Mon regard ne lâche pas ses prunelles brunes d’un profond sans pareil. Je ne parviens pas à comprendre cette expression qu’elle me jette, mais elle est juste magnifique. Une beauté que je ne me suis jamais lassé à contempler du coin de l’œil. Bienveillant. Mon cœur se serre sous un choc électrique qui l’entoure tout entier. Est-ce la manifestation d’une sorte de nostalgie ? Je l’ignore, cependant, mes lèvres s’entrouvrent faiblement afin d’y laisser s’échapper un faible filet d’oxygène. Lorsque ses mains glissent, tombent sur ses propres cuisses et viennent s’entrelacer avec les miennes, subitement, je n’entends qu’à moitié son mensonge de vestiaire. Une envie irrépressible me brûle les lèvres. Celle de retrouver les siennes, ne serait-ce que l’espace d’un infime instant. Juste pour raviver un souvenir qui me manque. Mes doigts serrent les siens, je lutte. Mais plus je restreins ce besoin, plus le sang claque violemment sous mes tempes.

Mon front heurte doucement le sien, mes yeux sont désormais clos tandis que j’attrape son visage entre mes mains. Je sens son souffle chaud contre ma bouche, si bien tentée qu’elle ne perd plus une seconde pour posséder sa partenaire. Nos lèvres s’épousent, mon cœur bat plus fort que jamais. Un léger soupire vient se heurter contre cette tendre sensation … J’avais oublié à quel point il était bon d’embrasser de cette façon. Lentement, mon instinct me guide, caresse son visage que je chérie depuis si longtemps, trop longtemps. Une pulsion et mes dents capturent la chair inférieure, la tire avec une envie de possession, de la gourmandise. J’ai cédé, la tourmente continue, je brise cette échange en une seconde, la prend brusquement contre moi, l’étreins. Puissant.

Je le sens si près. Son souffle chaud et sa présence envoient balader tout ce à quoi je pensais ; il n’y a que lui, partout. Nos fronts se touchent à nouveau, et lentement, il abandonne mes mains pour cajoler mes joues. À cet instant, je me demande qui est assez sourd pour ne pas entendre les battements plus que bruyants de cœur, oh oui, dites-moi qui … L’impression de redevenir une adolescente mièvre me revient, à chaque fois qu’il me touche. Je ne peux m’empêcher de ne pas le quitter des yeux, il est si captivant, même les yeux fermés.
Le temps s’arrête. Une vague de chaleur s’empare de moi. Sous tension, toujours un peu plus à ses côtés. Ses lèvres me sont si familières, et j’espère les connaître encore longtemps, rester leur maîtresse pour un bon bout de temps. Alors que je commençais presque à y prendre un plaisir sans égal, il y met terme, déjà. Nos bouches se quittent difficilement mais rapidement. L’envie de lui sauter dessus, pour donner suite à cet échange, ne manque pas mais reste inaccessible. Je me redresse et il n’attend pas une seconde de plus pour me prendre dans ses bras. À quoi tu penses, Tan ? Qu’est-ce que tu ressens, là, maintenant, tout de suite ? Je me sens petite contre lui, fragile : tu pourrais me briser en un instant. Je l’entoure de mes bras, resserre l’étreinte et m’imprègne de son odeur désirable, propre à lui-même. Dans un premier temps, je fronce les sourcils ; la vague d’émotion devait sûrement avoir atteint mes nerfs oculaires. Puis je lève les yeux au ciel, comme si ça allait stopper quoique ce soit. Il faut juste que je me contrôle, tout bêtement : et autant dire qu’avec Tan à côté.
Il me semble avoir soufflé son nom, une fois, ou deux ?

Je me refuse à dire qu’il est spécial, qu’il a quelque chose de plus. Je me refuse à dire que notre lien a quelque chose de fort, quelque chose d’unique. Je me refuse à dire que j’ai besoin de lui, plus qu’une simple envie. Pourtant, à chacun de ces faits est assigné un contre-exemple : Tan. Son nom résonne encore et encore dans ma tête, bien vide sur le coup.
Je me détache un peu, fait glisser ma main sur sa peau jusqu’à en arriver à son cou, à sa nuque que je presse faiblement. Mon regard croise le sien, mes yeux faisant l'aller-retour entre les siens et sa bouche. Je m’appuie sur la pointe de mes pieds et viens déposer mes lèvres sur les siennes, espérant sans doute qu’il comprenne. M’éloigner de lui est une chose bien trop difficile pour moi, je n’arrive plus à jouer …