Ayumi avait beau être une visiteuse assidue des locaux, l’immensité de la bibliothèque la saisissait à chaque fois qu’elle y mettait les pieds. Ce jour-là n’échappa pas à la règle et comme d’habitude, elle s’arrêta un instant sur le seuil, balayant du regard le nombre impressionnant de rangées qui lui faisaient face avant de poursuivre son chemin. En cette fin de soirée, les lieux étaient quasiment déserts.
Le rayon qui l’intéressait se trouvait au fond, tout au fond de la salle. Il regroupait plusieurs manuels de médecine traitant des thèmes que l’on voyait en 2ème année. C’était justement ce dont elle avait besoin pour rattraper le retard qu’elle avait accumulé au cours des derniers jours... Il faut dire que la demoiselle avait chopé une sacrée crève en ce début de semaine. Le nez légèrement rougi qu’elle dissimulait derrière son écharpe en laine ainsi que les cernes sous ses yeux soulignaient d’ailleurs qu’elle n’était pas encore au meilleure de sa forme, malgré les trois jours de repos, celui-là compris, qu’elle s’était accordée pour se remettre.
Mais elle devait étudier désormais. Le retard s’accumulerait rapidement sinon, jusqu’à devenir une montagne de travail gigantesque sous laquelle elle s’imaginait déjà crouler. Brr. Vision d’horreur. Ayumi choisit quelques livres au hasard qu’elle déposa sur une table et commença à feuilleter avec intérêt, bien qu’elle n’ait pas le temps de s’attarder. La nuit était tombée sur Yonsei, elle pouvait d’ores et déjà apercevoir la lune depuis son siège.
N’arrivant pas à faire un choix et voyant l’heure fatidique de la fermeture des lieux arriver, elle décida finalement d’emprunter les quatre ouvrages qui lui semblaient les plus complets. La demoiselle cala les trois premiers sous son bras et, tout en avançant pour rejoindre l’ascenseur, continua de lire le dernier. Elle était concentrée sur sa lecture, vraiment concentrée. Et elle ne s’attendait vraiment pas à ce qu’un individu se glisse à côté d’elle dans la cabine exiguë. L’équilibre précaire de la pile de livres ne résista pas à son sursaut de surprise et dans un grand bruit, les trois manuels finirent au sol. Boum. Patatras. Oups ?
Sentant le rouge lui monter aux joues, Ayumi jeta un regard au nouveau venu et reconnut un visage familier. Jin Su. Evidemment, il fallait qu’elle démontre sa maladresse devant lui. Comme s’il avait besoin d’une raison supplémentaire de se moquer d’elle ou l'humilier. « Bonsoir… » lâcha-t-elle en s'agenouillant pour ramasser ses manuels.

Il était l'heure, pour moi, de quitter la salle de classe. J'avais pensé, en bon étudiant, de m'avancer dans mes révisions parce que c'était bientôt le week-end et que je comptais sortir un peu. Pourtant, je ne négligeais nullement les études. Je ne ferais jamais ça, pour ne pas laisser mon idiot de demi-frère me devancer là dessus aussi. Je comptais bien le piétiner. Si le coeur m'en dira, je pourrais même lui donner un petit boulot dans l'entreprise, celui de me cirer les chaussures. Un sourire aux lèvres face à ses pensées machiavélique de ma part, je rangeais mes affaires, jetais mon sac sur mon épaule et me dirigeais jusqu'à l'ascenseur. Au départ, j'avais bien vu quelqu'un s'y glisser, mais je n'avais pas tout de suite remarqué de qui il s'agissait. Ce fut une fois que les portes soient clos qu'un bruit attira son attention. Un bonsoir, lancé rapidement et une jeune fille qui se baisse pour récupérer ses livres. Tout un boucan pour la fille la plus maladroite qu'il soit. Je l'avais enfin reconnu. Agissant comme je le désirais, mon pied s'avança et se posa sur le livre qu'elle s'apprêtait à ramasser, le gardant donc au sol sous la semelle de ma chaussure. Que je le salisse ? Alors là, je m'en fichais comme de ma dernière paire de chaussettes. « Bonsoir. »

Un sourire quelque peu moqueur se dessina sur mes lèvres. Lui rendre la vie difficile ? C'est ce que je préférais chez elle. Elle était tellement facile à déstabiliser. Et puis, ici, personne ne voyait rien, donc personne ne pouvait venir à son secours. Si la porte s'ouvrait, on pourrait croire de drôle de chose, elle, accroupis devant moi, la tête facilement au niveau de mon entre-jambe. Ouais, on se ferait des idées bien perverses. Alors que tout ce que je faisais, c'était de l'ennuyer. Je haussais un sourcil, tout en continuant de la regarder. « Tu comptes me faire une gâterie ? T'es au bon niveau, tu pourrais~ » Aaaaah, que j'adorais la voir mal à l'aise. Je ne poussais pas le vice plus loin pour l'instant. J'ôtais mon pied du livre, la laissant enfin le récupérer et se redresser. Je prenais appuis contre la cloison de l'ascenseur et observait les petits numéros rouge défiler au dessus de la porte de sortie. Bientôt, mon étage.

Ayumi jeta un coup d'oeil en biais au jeune homme à ses côtés et retint difficilement une grimace.
De tous les types que comptait Yonsei, il fallait évidemment que ce soit Jin Su qui la voit être aussi maladroite. Encore lui, toujours lui. Quelle poisse!
Le jeune homme semblait néanmoins perdu dans ses pensées, aussi la belle reprit un instant espoir. Peut-être qu'il ne la reconnaitrait pas, peut-être qu'elle pourrait faire mine de rien et qu'il ne lui chercherait pas de noises, peut-être qu'elle pourrait sortir de là sans encombres? Ah la la, c'est beau de rêver.
La brune s'accrocha néanmoins à cette idée et tenta de passer inaperçu. Enfin, dans la mesure où l'on peut passer inaperçu dans un ascenseur exigu alors qu'on vient d'y provoquer un raffut monstre, mais bref, là n'est pas la question. Elle s'agenouilla après avoir salué son voisin, en prenant bien soin de dissimuler son visage derrière une mèche de cheveux, et commença à ramasser ses manuels en priant pour qu'il ne la regarde pas de trop près... Jusqu'à ce qu'un pied se pose sur l'une des couvertures.

Ayumi releva la tête. Elle aperçut le sourire narquois du garçon qui la dévisageait de haut avec insistance et se sentit brusquement prise au piège, comme une petite souris qui fait face à un gros chat gourmand et qui sait qu'il ne lui reste pas longtemps à vivre. Ce sourire n'augurait rien de bon pour elle. Elle aurait voulu fuir, mais elle n'avait nulle part où aller, nulle part ou se cacher. Elle ne savait pas non plus comment réagir face à la situation... Alors elle attendit, stoïque, faisant un effort pour soutenir le regard du jeune homme. Elle n'allait pas se laisser faire si facilement. Et puis il allait bien finir par se lasser et retirer sa chaussure, hein? Non non, il allait lui proposer de lui faire une gâterie. Quel culot. Et pourtant, elle aurait pu s'y attendre.

"Je... Non désolée, ca ne me tente pas plus que ça."

Ne pas bagayer, ne pas lui montrer qu'il la mettait mal à l'aise. Son expression neutre et son ton désinvolte aurait réussir à dissimuler sa gêne, si ses joues n'avaient pas pris dans le même temps une jolie teinte écarlate. Parfois, elle avait envie de se maudire, vraiment. Jin Su retira finalement son pied, et la jeune fille se redressa, ses livres serrés contre sa poitrine. Elle n'attendait qu'une chose, que les portes s'ouvrent à son étage et qu'elle puisse sortir. Au lieu de ça, une secousse la fit tituber contre Jin Su en lui arrachant un petit cri. La cabine s'immobilisa au bout de quelques secondes. "C'était quoi, ça?!"