Que faire lorsque la nuit refuse d'être votre compagne et qu'elle vous laisse seul être éveillé?
Malgré ses nombreuses années d'insomnie, Cruz n'avait toujours pas de réponse à cette question... Alors il restait là, immobile, les yeux rivés sur les tentures sombres de son lit à baldaquins. Cette posture pensive était presque devenue une habitude, à force. Le jeune homme la prenait dès que le dortoir se retrouvait plongé dans l'obscurité et que les premiers ronflements de son voisin se faisaient entendre, et la gardait souvent de longues heures durant avant que l'épuisement ne l'emporte finalement au pays des songes.
Parfois, il enviait ses camarades de dortoir. Vraiment. Certains n'avaient qu'à poser la tête sur l'oreiller pour sombrer dans un profond sommeil réparateur, alors que de mauvais souvenirs refaisaient surface dans son esprit immédiatement après qu'il ait fermé les paupières. Avoir une nuit complète, faite d'un sommeil sans rêves équivalait à un combat, un conflit contre lui-même qu'il avait tendance à perdre... Dommage.
Sans doute était-ce un défaut génétique. A moins que ses cauchemars ne soient dûs à son enfance agitée et par moment douloureuse. Max aussi cauchemardait, il y avait forcément un lien... La réponse touchait forcément au domaine familial. Sans doute un mix des deux.

En parlant de son cadet, peut-être le croiserait-t-il dans les couloirs s'il quittait son lit?
Soyons clair, cette pensée était une excuse totalement bidon. Le château était bien trop grand, le nombre de passages secrets bien trop élevé et la distance entre leurs deux salles communes bien trop importante pour qu'ils se croisent par hasard, en pleine nuit qui plus est... mais le vert et argent s'ennuyait à force de rester allongé et trouvait donc cette hypothèse tout à fait recevable.
Silencieusement, il s'extirpa de son édredon et attrapa la baguette d'aubépine qu'il avait laissé à portée de main sur la table de nuit. Un court instant il songea à l'utiliser, mais la lumière de la lune éclairait suffisamment la pièce pour qu'il attrape sans difficulté le sweat gris qu'il avait porté la veille et qu'il quitte le dortoir sur la pointe des pieds.
Il avait fier allure le Cruz, avec son vieux pantalon de velours noir et son sweat informe qui dissimulait sa silhouette élancée! Mais le château tout entier était désert, aussi ne craignait-il pas de se balader dans cette tenue peu élégante.
Cette nuit de mi-septembre était belle et il désirait en profiter. Ses pieds avançaient sans qu'il ne leur donne une destination précise, son seul souhait étant de s'élever dans les hauteurs de l'édifice pour profiter de la vue sur le parc à sa guise.

Sans doute serait-il monté jusque dans les tours... mais un bruit léger, presque inaudible attira son attention au quatrième étage. Aussitot, Cruz se raidit et dégaina sa baguette. Réflexe de survie. Il avait quelques ennemis à Poudlard et cette soirée sans témoin était sans aucun doute propice aux réglements de compte. Tendant l'oreille, sur ses gardes, l'Asiatique murmura pour augmenter son champ de vision:

"Lumos."

La silhouette qu'il aperçut alors lui était assurément familière, mais il mit tout de même quelques secondes à reconnaitre Tahanie. Il faut dire qu'il s'était habitué durant leurs rencontres furtives à la jeune fille aguicheuse, maquillée et juchée sur des talons vertigineux... Pas à cette Tahanie-là. La lumière que dégageait sa baguette devait l'éblouir et pourtant, elle restait stoïque, des larmes amères coulant de ses yeux pour une fois vierge de tout artifice.
La jeune fille dégageait une telle impression de fragilité en cet instant que Cruz resta dans un premier temps immobile, ne sachant comment réagir.

Entre eux, tout avait été clair dès le début: leur relation était et serait purement physique. Il n'y aurait rien de plus, pas d'amitié, et encore moins d'amour. Simplement le plaisir de la chair. Mais là... Il aurait presque voulu fuir, faire comme s'il n'avait rien vu, comme s'il n'avait jamais quitté son lit. Ne pas assumer.
Il en avait encore la possibilité. Il pouvait. S'il restait, ils allaient parler, ils allaient rompre le pacte implicite concernant le relation. Ils allaient se rapprocher.
Alors qu'il hésitait encore sur la manière dont il devait réagir, Cruz remarqua soudain que Tahanie tremblait. C'était un détail somme toute idiot, mais il eut le mérite de le faire réagir.
Le jeune homme abaissa sa baguette, ôta son sweat et le passa avec une infinie douceur à la demoiselle. Malgré ses airs de brute par moment, il pouvait être précautionneux. Et en l'occurrence, elle était si maigre qu'il craignait de la blesser au moindre mouvement trop brusque. Une fois cela fait, il se se mordilla la lèvre inférieure quelques secondes, hésitant, puis il lui murmura:

"- Tu veux en parler?"

Tout dépendrait de la réaction de la demoiselle. Elle pouvait répondre "non", sécher ses larmes et leur relation resterait la même, sans le moindre changement. Ou elle pouvait répondre "oui" et alors... Cruz n'avait pas la moindre idée de ce qui se produirait.